- LIBERTÉ
- LIBERTÉLa question de la liberté peut être abordée à trois niveaux différents, dont chacun fait appel à un type propre de discours.À un premier niveau, celui du langage ordinaire, « libre » est un adjectif qui caractérise certaines actions humaines présentant des traits remarquables: ce sont des actions intentionnelles ou faites dans une certaine intention; on les explique par des motifs, en donnant à ce mot le sens de «raison d’agir» plutôt que celui de «cause»; on les assigne à un agent responsable, etc. Dire qu’une action est «libre», c’est donc prescrire de la placer dans la catégorie des actions qui présentent ces traits remarquables et, du même coup, exclure qu’on la place dans la catégorie des actions présentant des traits contraires, par exemple qu’elles soient faites par contrainte. L’expression «libre» fait alors partie d’un univers du discours où l’on rencontre des mots tels que: «projet», «motif», «décision», «raison d’agir», «auteur responsable», etc.; définir le mot «libre», c’est ainsi le relier à tout ce réseau de notions où chacune renvoie à toutes les autres.À un deuxième niveau, celui de la réflexion morale et politique, la liberté n’est plus seulement un caractère qui distingue certaines actions d’autres actions connues pour non libres: le mot désigne une tâche, une exigence, une valeur, bref quelque chose qui doit être et qui n’est pas encore; réfléchir sur la liberté, c’est réfléchir sur les conditions de sa réalisation dans la vie humaine, dans l’histoire, au plan des institutions. C’est dans une autre sorte de discours philosophique que la question de la valeur de liberté peut être articulée; ce discours ne consiste plus à décrire la classe des actions tenues pour libres par le langage ordinaire; il prescrit le chemin même de la libération. Dès lors le mot même de «liberté» figure et fonctionne dans un réseau différent du précédent; on y rencontre des expressions telles que: «norme», «loi», «institution», «pouvoir politique», etc. Replacé dans ce nouveau contexte, le mot «liberté» se rencontre volontiers au pluriel: on parlera des «libertés»: civiles, politiques, économiques, sociales. Par ces libertés on entendra moins le pouvoir de faire ou de ne pas faire – comme c’est le cas dans le premier discours – qu’un certain nombre de droits de faire, qui n’existent que s’ils sont reconnus par les autres et instaurés dans des institutions de caractère économique, social, politique.À un troisième niveau, celui de la philosophie fondamentale, le discours sur la liberté procède d’une question: comment la réalité dans son ensemble doit-elle être constituée pour qu’il y ait dans son sein quelque chose comme la liberté? Cette question unique peut être formulée d’une manière double, si on la rapproche des deux précédentes investigations: qu’est-ce que la réalité pour que l’homme y soit un agent, c’est-à-dire l’auteur de ses actes, tel que le premier discours l’aura décrit? Et qu’est-ce que la réalité pour que soit possible une entreprise morale et politique de libération, telle que le second discours l’aura prescrite? Cette question – simple ou double – est, au sens propre du mot, une question ontologique, c’est-à-dire une question sur l’être de la liberté. Elle place le mot «liberté» dans un autre champ de notions, où l’on rencontre des expressions telles que «causalité», «nécessité», «déterminisme», «contingence», «possibilité», etc., qui toutes concernent des modes d’être. Placer la liberté parmi des modes d’être, voilà la tâche de ce troisième discours. On se propose ici de montrer que ce discours n’est pas indépendant des deux premiers; car ceux-ci contiennent déjà des indications, des index pointés vers le mode d’être libre ; il s’agira alors de développer ces suggestions, implicitement contenues dans les deux premiers discours, et de les rattacher à une problématique, à un mode de questionnement, qui en révèlent la dimension proprement philosophique.1. Le discours descriptif: qu’est-ce qu’une action libre?Une partie de la philosophie contemporaine – l’analyse linguistique de l’école d’Oxford, la phénoménologie de Husserl et de ses disciples français – s’emploie à clarifier le langage ordinaire dans lequel on parle de l’action libre. Pour une telle philosophie, attentive avant tout aux finesses et aux nuances du langage courant, la liberté n’est aucunement une entité, une espèce d’être; c’est un caractère, exprimé par un adjectif, qui s’attache à certaines actions humaines. Si donc il y a un langage de la liberté, c’est d’abord parce qu’il y a un langage de l’action. C’est celui-ci qu’il faut reconnaître le premier et dans son ensemble.Le langage de l’actionAgir , faire , ces deux mots désignent le vaste domaine des comportements ou des conduites par lesquels l’homme produit des changements dans son milieu physique ou son environnement social; tout le monde comprend la différence entre changer les choses ou simplement les considérer; à cette différence majeure correspond la distinction du pratique et du théorique, que l’on retrouve dans la plupart des philosophies. Or, si l’on comprend ce que signifie «agir», par contraste avec simplement «percevoir», «connaître», «comprendre», «décrire», c’est parce que le langage ordinaire a accumulé, à la faveur d’une expérience millénaire, un trésor d’expressions appropriées qui, en quelque sorte, quadrillent le domaine de l’action.Le langage habituel, à cet égard, en sait plus long que toute la philosophie; il dispose de toute une batterie d’expressions pour dire non seulement l’opposition du libre et du non-libre, mais les innombrables nuances qui marquent les degrés de la liberté; il est intéressant, à cet égard, d’ausculter le langage des excuses; dire que l’on a fait quelque chose intentionnellement, par inadvertance, sans le faire exprès, volontiers, malgré soi – autant d’expressions qui modulent la signification de l’action du point de vue des degrés de liberté.La première tâche d’une philosophie soucieuse de se tenir au plus près de ce «dire du faire» est de rendre justice globalement au langage de l’action; il n’y aurait pas de signification du libre et du non-libre s’il n’y avait pas d’abord une signification de l’action comme telle. Or, il y a deux façons de méconnaître ce langage de l’action.On peut d’abord le confondre avec un langage qui lui ressemble beaucoup, mais qui pourtant se déploie dans un autre univers du discours: c’est le langage qui exprime l’action dans les termes des mouvements qu’on observe dans la nature. Le langage de l’action n’est pas le langage du mouvement: un mouvement est quelque chose qui arrive et que l’on constate; une action est quelque chose qu’on fait arriver et que l’on sait faire. Considérons les deux énoncés suivants: «Les muscles du bras se contractent» et «Je lève le bras pour indiquer que je vais tourner». Le premier énoncé est un énoncé sur un mouvement, c’est-à-dire sur un événement qui arrive dans le monde et qu’on peut observer du dehors; le second est un énoncé sur une action; il a le sens d’une action pour quiconque en parle du milieu même de l’action, par exemple pour la commander ou pour en rendre compte à autrui.Mais cette reconnaissance de la spécificité du domaine de l’action appelle un second contraste: non plus entre une action (que l’on fait) et un mouvement (que l’on observe), mais entre des caractères qui s’attachent à l’action visible et, si l’on peut dire, publique, d’une part, et les mêmes caractères réduits à l’état d’«entité» mentale, d’autre part, à savoir l’«idée» qui n’existerait qu’à l’intérieur de la pensée. Cette mauvaise construction du langage est responsable de beaucoup d’échecs dans le domaine de la philosophie de l’action libre; on se représente volontiers une intention ou un motif comme une «idée» dépouillée de tout caractère physique et matériel, et on se demande comment une telle idée, issue de la pensée, pourrait produire un mouvement, inscrit dans la matière. Ce problème du passage de l’idée au mouvement est un obstacle préalable à toute réflexion sur la liberté.Or, un simple retour au langage ordinaire et à la sorte d’intelligence qu’il véhicule suffit à dissoudre – plutôt qu’à résoudre – le problème issu d’une mauvaise construction de la grammaire de notre langage. On vient de dire que, pour le langage ordinaire, l’action n’est pas un mouvement; l’analyse ultérieure montrera que l’intention (de faire ceci ou cela) n’est pas non plus une idée dans la pensée qui précéderait le mouvement et le produirait par une sorte d’opération magique transformant l’idée en mouvement.Il y a donc une grammaire de l’action , qui a des caractères propres et qui ne saurait être dérivée d’aucun ensemble d’énoncés portant sur des événements – soit physiques, soit mentaux – et leurs propriétés. Le langage offre, à cet égard, des constructions très remarquables: ainsi celle des verbes d’action, renvoyant à un agent, à des objets de l’action (compléments directs de verbes transitifs), aux moyens, aux circonstances de lieu et de temps, etc.; c’est dans cette grammaire des verbes d’action que nous faisons passer tout ce que nous disons sur ce que nous faisons. Un des aspects les plus intéressants de cette grammaire de l’action concerne ce que dans les grammaires ordinaires, on appelle les «modes» (indicatif, impératif, subjonctif, optatif, etc.); or, une bonne partie de nos énoncés sur l’action passe par les modes autres que l’indicatif; autant celui-ci convient à la description des mouvements observés dans la réalité, autant l’impératif, l’optatif (et éventuellement d’autres modes) conviennent à l’expression de l’action en tant qu’on la commande aux autres ou à soi-même ou en tant qu’on en forme le désir, le souhait, l’intention. Des philosophes anglais ont ainsi été amenés à distinguer les énoncés «performatifs» des énoncés «indicatifs»: dans cette distinction grammaticale se reflète quelque chose de la distinction examinée ici entre un événement (que l’on constate) et une action (que l’on accomplit).L’intention et le motifLe langage de l’action étant ainsi reconnu selon sa grammaire propre, comment placer l’expression «action libre» dans le réseau des notions qui relèvent de cet univers du discours de l’action?Le caractère de liberté s’explique par quelques-uns des termes de base autour desquels gravitent toutes les autres expressions du réseau. On en considérera quelques-uns qui, en s’entre-définissant, définissent aussi ce que tout le monde appelle action libre.Le premier terme est celui d’action intentionnelle. Cette expression est elle-même employée et comprise par les interlocuteurs selon plusieurs contextes différents; ainsi, dans les trois formules: j’ai l’intention de (faire ceci ou cela); (telle action a été faite) intentionnellement ; (je fais ceci ou cela) dans l’intention de (obtenir tel ou tel résultat), nous ne comprenons l’intention qu’en liaison avec une action dont le discours fait mention. Qu’ajoute-t-on à cette désignation de l’action en la disant intentionnelle? Pour répondre à cette question il faut interroger les contextes dans lesquels cette expression est tenue pour signifiante.C’est ici que la notion d’intention appelle celle de motif. Ainsi, dans les expressions où l’on dit qu’une action a été faite intentionnellement. Celles où l’on dit agir dans telle ou telle intention renvoient plutôt aux notions de projet et de fin.Considérons donc ce lien entre intention et motif. Pour cela examinons l’usage du mot intention. On l’emploie, en général, dans les énoncés qui sont des réponses à des questions de la forme: que faites-vous et pourquoi le faites-vous? À vrai dire, ces deux questions n’en forment qu’une. La réponse à la question «quoi?» se trouve pleinement développée dans la réponse à la question «pourquoi?».Or nous n’alléguons une intention que dans les cas où la réponse à la question «pourquoi?» invoque un motif qui a pour nous le sens d’une «raison d’agir» et non le sens d’une «cause»; appeler une action intentionnelle, c’est donc, d’abord, exclure une certaine explication, l’explication par la cause. Certes, il y a des motifs qui ressemblent à des causes; ce sont tous les motifs dont on peut dire qu’ils «regardent en arrière»: je me venge, parce que un tel a tué mon père; j’exprime ma gratitude, parce que un tel m’a procuré un bienfait; j’ai pitié, parce que un tel est tombé dans le malheur. Mais, s’il est vrai que le motif regarde en arrière, il ne pousse pas à la manière d’une cause. Ce n’est pas l’événement passé, en tant que tel, qui produit mon sentiment actuel, mon action présente, mais un certain caractère de cet événement, caractère jugé bon ou mauvais, auquel l’action répond; c’est pourquoi nous disons: par vengeance, par pitié, etc.; un événement passé ne motive une action présente que par l’intermédiaire d’un caractère désirable, positif ou négatif, qui est lui-même évalué, interprété.Ce trait est plus fortement marqué lorsque le motif allégué n’est ni un antécédent, ni un conséquent de l’action, mais une manière d’interpréter l’action; je vous donne telle ou telle raison pour laquelle j’ai agi, cela veut dire: je vous demande de considérer l’action sous un certain éclairage, de la placer sous un certain jour, de la considérer comme... ; alléguer un motif, au sens d’une raison d’agir, c’est tenter de donner une signification susceptible d’être communiquée à autrui et comprise par lui; le motif fait que l’action est telle, qu’elle a tels caractères, qu’elle peut être comprise de tel point de vue, être rattachée à un ordre de significations psychologiques, morales, sociales, culturelles, comprises par autrui; bref, alléguer un motif, c’est rendre clair ce qu’on fait, aux yeux d’autrui et à ses propres yeux.Une première approximation de la notion de liberté résulte de cette analyse des notions d’intention et de motif dans le langage ordinaire; une action est reconnue comme libre si on peut en rendre compte, à autrui et à soi-même, en alléguant des motifs qui ont la signification de «raison de» et non celle de «cause». Nous appelons «contraintes» les actions que nous ne pouvons pas expliquer par des motifs au sens de «raison de...», mais au sens de «cause». Et comme un grand nombre de nos actions se tient dans l’entre-deux de la «raison de...» et de la «cause», ces actions présentent à nos yeux et aux yeux de nos interlocuteurs, tous les degrés intermédiaires du «libre» et du «contraint»; à cet égard, pour le langage ordinaire, liberté et contrainte ne sont pas des absolus séparés par un fossé infranchissable, ce sont deux pôles auxquels nous référons tous les degrés du «libre» et du «moins libre», du «contraint» et du «moins contraint». L’art de la conversation excelle, mieux que les philosophies, dans ce jeu des degrés et des nuances.Intention et finÀ quelles actions reconnaîtra-t-on le plus volontiers le caractère libre? À celles dont l’intention présente un trait remarquable que nous exprimons généralement en disant que nous faisons ceci ou cela «dans telle intention»; ici, l’intention désigne moins un caractère par lequel on rend intelligible ce qu’on fait – c’est-à-dire une manière d’interpréter une action à la façon d’un texte qu’on rend compréhensible en le replaçant dans un contexte approprié – que la visée lointaine, c’est-à-dire un résultat ultérieur placé en position de fin, par rapport à toutes les actions intercalaires mises en position de moyen ; une action est intentionnelle, au sens le plus fort du mot, lorsqu’elle est ainsi mise en perspective dans une chaîne de moyens et de fins et reçoit de cet enchaînement une structure articulée.À cet égard, les énoncés qui décrivent une action isolée (comme dans l’exemple initial: «Je lève le bras») sont à peine des énoncés d’action; il leur manque le caractère de discursivité que confère à l’action «l’intention dans laquelle» on fait quelque chose. Un véritable énoncé d’action comporte au moins deux segments d’action ordonnés l’un par rapport à l’autre: «Je lève le bras, pour indiquer que je tourne»; deux énoncés ainsi articulés font ainsi non seulement une sémantique , mais une syntaxe d’action : «Je fais P de sorte que Q».Ce que nous appelons alors l’intention est beaucoup plus proche du raisonnement que de l’idée; elle se formule, en effet, dans une chaîne d’énoncés qui, tous ensemble, désignent «l’ordre» de l’action; ce qu’on appelle, depuis Aristote, le raisonnement pratique, ne fait qu’exprimer, dans le langage formel de la logique, cette mise en ordre de l’action par l’intention; ce n’est pas parce que le raisonnement tire une conclusion à partir de principes qu’il cesse d’être pratique et bascule du côté de la théorie ou de la spéculation; le véritable raisonnement pratique a toujours pour point de départ quelque chose de désiré; il classe, ordonne, stratifie les caractères de désirabilité qui s’attachent aux échelons successifs de l’action. En faisant ainsi accéder ses désirs au langage par les moyens de «caractères de désirabilité», le sujet parlant place ses désirs eux-mêmes dans un calcul de moyens et de fins. C’est là le premier degré de la liberté: être capable, non seulement de «souffrir», de «subir» ses désirs, mais de les porter au langage en énonçant le caractère de désirabilité qui leur est propre et en soumettant au calcul des moyens et des fins l’enchaînement de l’action. Le désir n’est plus alors une simple «impression», il est mis à distance, en position lointaine de fin, par rapport à l’ensemble des voies et des moyens, des obstacles et des instruments que l’action doit traverser pour «remplir» l’intention.Ce qu’on vient de décrire, avec les ressources de l’analyse du langage ordinaire, c’est que la phénoménologie de l’action, depuis Aristote jusqu’à nos jours, a appelé de différents noms. Aristote l’appelle la «préférence»; dans la première phénoménologie de la volonté qui, sans doute, ait été écrite – à savoir le livre III de l’Éthique à Nicomaque –, Aristote considère une série de cercles concentriques dans lesquels nous plaçons notre action: le cercle le plus vaste est celui des actions que nous faisons volontiers ou de plein gré; ce sont celles que nous faisons spontanément, sans être contraints, ni intérieurement ni extérieurement; parmi ces actions, il y a celles qui sont simplement souhaitées et dont l’exécution ne dépend pas de nous mais de quelqu’un d’autre ou du hasard et celles qu’il dépend de nous de faire ou de ne pas faire. C’est parmi celles-ci que se découpent les actions qu’on peut dire véritablement préférées parce qu’elles sont prédélibérées. Or, l’homme ne délibère pas des fins mais des moyens; c’est donc bien dans l’articulation des moyens par rapport aux fins que consistent les actions dont on peut dire qu’elles sont, par excellence, notre œuvre.On vient de retrouver dans la «préférence» selon Aristote les traits de ce qu’une analyse du langage ordinaire découvre dans les notions d’intention, de motif et de fin; le même travail de relecture pourrait être appliqué aux parties descriptives de la philosophie pratique de Kant ; on évoquera celle-ci à propos du «deuxième discours» sur l’action libre; les notions de devoir et de loi déterminent sans doute ce que Kant appelle la volonté objective; mais, chez un être comme l’homme, dont la volonté est affectée par le désir, la volonté subjective est à la croisée du devoir et du désir; l’action concrète présente alors les traits que le langage ordinaire lui reconnaît; et Kant appelle «maximes» les principes pratiques dont «la condition est considérée par le sujet comme valable seulement pour sa volonté»; et il reconnaît que «dans la volonté, affectée «pathologiquement», d’un être raisonnable, il peut y avoir conflit entre les maximes et les lois pratiques reconnues par l’être lui-même» (Critique de la raison pratique , livre I, chap. I, § 1). Ce que Kant appelle ici maxime ou principe pratique subjectif, c’est ce que tout le monde appelle l’intention dans laquelle on agit; c’est aussi ce que, dans le cadre d’une autre philosophie, Aristote avait appelé préférence.Projet et décisionLa philosophie moderne a, en général, insisté sur d’autres traits de l’action libre pour lesquels elle adopte un autre vocabulaire; elle parle volontiers de «projet» pour désigner le caractère d’anticipation de l’action par l’intention, mettant ainsi l’accent davantage sur le caractère «jeté en avant» de l’intention que sur la fonction d’explication, de légitimation, de justification du motif; du même coup, elle accentue un trait, déjà souligné par les scolastiques et par Descartes, à savoir que le côté rationnel du calcul des moyens et des fins est la contrepartie d’un caractère irrationnel qui s’attache à l’initiative, à la mise en mouvement et à l’arrêt de la délibération elle-même. Ce trait, soutenu par la métaphore de l’épée qui tranche le nœud gordien, s’exprime mieux par les mots «décision» et « choix » que par l’expression kantienne de maxime. Le jet du projet est tout entier dans cet acte souverain que la tradition scolastique, avant Descartes, énonçait comme le pouvoir sur les contraires; c’est sans doute à la faveur de la réaction contre le rationalisme hégélien, et sous l’impulsion de Kierkegaard, que la philosophie moderne, en particulier existentialiste, a accentué le caractère d’alternative, le «ou bien... ou bien» de l’action libre.Une philosophie plus attentive au langage ordinaire corrigera ces interprétations unilatérales en restituant le réseau intégral des expressions et des notions qui constituent le discours de l’action. Dans un langage complet sur l’action, il n’y a des projets que parce qu’il y a des motifs, et il n’y a des décisions que parce qu’il y a des calculs; on décide quelque chose , mais on le décide parce que ; ainsi l’«irrationalisme» de la décision et du choix renvoie au «rationalisme» du calcul des moyens et des fins. Un langage de l’action ne peut donc fonctionner que si toutes ces expressions s’équilibrent: projet et motif, décision et raisonnement pratique.L’agent responsableLe moment est venu d’introduire le dernier trait, le plus difficile à placer dans le réseau du discours de l’action: il concerne le sujet de l’action; ici encore, le langage est un bon guide; de même que l’on dit: «Décider quelque chose » et «décider parce que ...», on dit: «se décider». La forme pronominale du verbe est un des moyens grammaticaux employés par certaines langues pour désigner le caractère remarquable des expressions de l’action, à savoir qu’elles mentionnent à la fois la chose faite ou à faire, les raisons de faire, l’acte qui tranche l’alternative et enfin l’agent, celui qui fait; le langage de l’action, peut-on dire, est «sui- référentiel»; celui qui fait se désigne lui-même en énonçant son faire; cette auto-implication de l’agent de l’action dans l’énoncé de l’action exprime un trait fondamental de l’action humaine: elle peut être assignée ou imputée à quelqu’un; de la même manière que le discours de l’action implique la distinction entre l’action et le mouvement, entre le performatif et le constatif, entre le motif et la cause, ce même discours de l’action implique la distinction entre un agent qui est une personne et l’antécédent constant d’un événement dans le monde.Cette assignation à quelqu’un est le noyau de ce que nous appelons responsabilité et qui comporte d’autres traits qui n’apparaîtront que dans le deuxième discours sur la liberté. C’est parce que l’action peut être assignée à un agent que les énoncés sur l’action peuvent toujours être reformulés de telle façon que cette assignation passe au premier plan. Il est toujours possible de dire: «C’est moi qui ai fait ceci» ou «c’est toi qui as fait cela»; on peut appeler cela le jugement d’imputation; seule une action peut être imputée, non un mouvement. Ce caractère de pouvoir être imputé à quelqu’un est une des choses que nous comprenons et que nous présupposons lorsque nous tenons une action pour «libre».En résumé, pour une analyse qui ne met en jeu aucune considération morale ou politique, par conséquent pour une analyse éthiquement neutre, l’épithète «libre» fait référence, de façon plus ou moins implicite, à tous ces caractères que l’on découvre peu à peu en suivant le mouvement de renvoi d’une notion à l’autre, à l’intérieur du réseau conceptuel de l’action: libre veut dire intentionnel, motivé, projeté, décidé, imputable à un agent. Nous comprenons le mot «libre» en comprenant chacun de ces mots et nous comprenons chacun de ces mots en comprenant le réseau entier. Appeler une action libre, c’est exclure une certaine sorte d’explication qui ferait vibrer un autre réseau, celui de l’événement observable dans la nature; c’est, d’autre part, placer une telle action au nombre de celles qui sont justiciables d’une description mettant en jeu la totalité du réseau conceptuel de l’action intentionnelle.C’est la tâche d’une philosophie à la fois phénoménologique et linguistique – on l’appellera une phénoménologie linguistique – de clarifier ces concepts et de porter au jour leurs connexions.2. Le deuxième discours: la liberté senséeDe la liberté arbitraire au champ de la politiqueUn texte de Hegel, important et difficile, met tout de suite en place le second niveau du problème: «Le domaine du droit est le spirituel en général; sur ce terrain, sa base propre, son point de départ sont la volonté qui est libre; si bien que la liberté constitue sa substance et sa destination et que le système du droit est l’empire de la liberté réalisée, le monde de l’esprit produit comme seconde nature à partir de lui-même» (Principes de la philosophie du droit, § 4). Ce texte parle de la liberté réalisée et de son empire, qu’il appelle le système du droit : par ce mot, Hegel entend l’ensemble des institutions – juridiques, morales, économiques et politiques – par le moyen desquelles la liberté cesse d’être un sentiment intérieur, le sentiment de pouvoir faire ou ne pas faire, pour devenir une réalité, une œuvre, ce que le texte appelle «seconde nature». L’analyse antérieure n’a donc pas épuisé le problème de la liberté; l’action intentionnelle, à laquelle on a identifié l’action libre, peut être absurde ou sensée; elle peut se retrancher en elle-même ou produire au dehors des œuvres et des institutions.Que faut-il donc ajouter à la précédente analyse pour changer de niveau? Il faut d’abord introduire l’affrontement de deux volontés; or les notions d’intention, de projet, de motif, d’agent volontaire et responsable mettent seulement en rapport un sujet libre avec son propre corps et, autour de lui, sa situation globale. L’exemple juridique du contrat (par lequel Hegel commence sa Philosophie du droit ) montre excellemment que la liberté arbitraire devient liberté sensée lorsque deux vouloirs, s’affrontant à propos des choses, par exemple pour se les approprier, échangent leurs positions, se reconnaissent mutuellement et engendrent un vouloir commun; en s’engageant ainsi l’une par rapport à l’autre, les deux volontés se lient et ainsi deviennent libres, en un sens nouveau, qui n’est plus le pouvoir de faire n’importe quoi, mais le pouvoir de se rendre indépendant de ses propres désirs et de reconnaître une norme.Deuxième trait: il manquait à l’analyse précédente la considération d’une règle, d’une norme, d’une valeur, bref d’un principe d’ordre (quel qu’il soit) qui donne un caractère objectif à une liberté jusque-là enfermée dans son point de vue subjectif.Troisième trait: action doublée, action normée, l’action libre fait encore paraître une dimension de la raison que la tradition philosophique a appelée raison pratique; entendons par là une raison qui a des effets dans le monde, une raison qui s’applique à produire une réalité selon la liberté; or une liberté qui a traversé la problématique du contrat et de l’universalisation par la loi accède à un projet de réalisation ou d’effectuation dont l’échelle est autrement plus vaste que le corps propre: son théâtre est le monde de la culture; c’est dans des œuvres, et pas seulement dans des mouvements, voire des gestes et des conduites, qu’elle veut s’inscrire. C’est l’histoire des hommes qu’elle veut infléchir; bref, elle veut «changer le monde».Ces trois concepts nouveaux dessinent déjà le nouveau champ du deuxième discours de la liberté: doublement du vouloir, action normée, réalisation ou effectuation dans une œuvre. Ajoutons-y un dernier trait: c’est dans le champ de cette problématique de l’action sensée que peut se déployer une philosophie politique. Une philosophie politique se distingue d’une science politique en ce qu’elle a pour fil directeur un concept de réalisation de la liberté. La théorie de l’État ressortit à la théorie de la liberté, dans la mesure exacte où s’y articulent le rapport de volonté à volonté, le rapport de l’arbitraire à la règle, le rapport de l’intention à l’œuvre. Il s’y ajoute un nouveau rapport qui se présente d’abord comme une question: comment faire pour que la liberté de l’individu se reconnaisse non seulement dans une autre liberté singulière comme la sienne, mais dans un pouvoir de décider à l’échelle de la communauté entière? Cette question est celle de Rousseau dans le Contrat social. Comment passer de la liberté sauvage de l’homme seul à la liberté civile de l’homme dans la cité? Cette question, Rousseau l’appelait «le labyrinthe du politique». En effet, le pouvoir de l’État et, en général, de la société paraît d’abord à chacun transcendant, étranger, voire hostile, quand il s’incarne dans la figure du tyran. Une philosophie de la liberté, comprise au sens de l’action sensée, ne s’achève que si elle peut incorporer au champ de la raison pratique, au champ de la réalisation de la liberté, la naissance du pouvoir politique.Éthique et politique chez AristoteCe passage du premier au deuxième niveau de problèmes se laisse aisément reconnaître dans la philosophie morale d’Aristote: sa théorie de l’action volontaire et involontaire, dans le livre III de l’Éthique à Nicomaque , constitue seulement un fragment enchâssé dans une enquête plus vaste portant sur la vertu et le bonheur; ainsi, l’analyse faite plus haut de la «préférence» concerne seulement les conditions psychologiques d’une recherche portant sur l’«excellence» (ainsi faudrait-il traduire le mot magnifique de 見福﨎精兀 plutôt que par «vertu»). Les deux discours de la liberté sont ainsi dans le même rapport que la préférence et l’excellence.Or, la recherche sur l’excellence met en jeu tous les rapports qu’on vient d’évoquer: le rapport de personne à personne, mis en œuvre par toutes les vertus, comme on le voit plus aisément dans les vertus de justice et de libéralité; le rapport à la norme ou à la règle, qui s’exprime en chaque vertu comme recherche de la juste moyenne entre deux extrêmes; la promotion de la raison pratique, préfigurée chez Aristote sous la figure de la vertu de «prudence» ( 﨏福礼益兀靖晴﨟), qui est la sagesse même de l’action; enfin, il n’est pas sans intérêt de rappeler que, pour Aristote, la science architecturale ou, pour mieux dire, architectonique, qui enveloppe toutes ces considérations sur le bonheur, la vertu et les vertus, sur le rapport de la préférence à l’excellence, sur le règne de la prudence, s’appelle le «politique». Ainsi le discours sur l’action intentionnelle est-il seulement un segment abstrait prélevé sur le parcours complet du discours éthico-politique, avec lequel s’identifie la problématique de la liberté sensée.C’est par ce dernier trait qu’Aristote anticipe le plus manifestement Hegel. Cette correspondance entre les deux philosophes est d’autant plus saisissante que, dès après le Stagirite, et sans doute dès la fin de la Cité grecque engloutie dans l’État macédonien puis dans l’Empire romain, cette grande unité de l’éthique et de la politique est rompue. Une telle scission est de grande conséquence: désormais la philosophie de la liberté est livrée à un processus irrémédiable de psychologisation; encadrée dans une psychologie des «facultés», elle se réfugie dans une théorie de l’assentiment ou du consentement, dont l’analyse cartésienne du jugement est la plus éclatante réussite.Mais, autant cette analyse est excellente en tant que phénoménologie de l’affirmation et de la négation, du oui et du non, autant elle témoigne de la perte de la dimension politique posée par Aristote dans son Éthique , comme l’indique bien le refus de Descartes de faire prendre en charge par la philosophie tout ce qui pourrait toucher aux mœurs, aux lois et à la religion du royaume. Or, pendant ce temps, l’autre débris disjoint de la grande unité aristotélicienne, le complément politique de cette psychologie de l’assentiment, continue son existence dissociée sous un autre titre, celui de philosophie politique; tout ce qui est dit et écrit, chez Hobbes et Machiavel – et jusque chez Spinoza dans le Traité théologico-politique – , concernant le pouvoir, la force, la violence appartient de droit à la grande philosophie de la liberté, aperçue une fois dans son intégralité par Aristote.C’est la gloire de Rousseau, avant Hegel, d’avoir, si l’on ose dire, rapatrié pour la philosophie de la liberté la question du pouvoir politique et de la souveraineté. Il n’est pas sûr que le contrat soit la véritable connexion par laquelle la volonté de chacun engendre la volonté générale; du moins, la philosophie du contrat aura servi, avant Hegel, à remembrer la grande philosophie de la liberté; le concept de volonté générale est ici le témoin de cet effort pour dépsychologiser le problème de la volonté libre et, si l’on peut dire, pour le repolitiser selon le dessein le plus certain du Stagirite.Éclatement de la synthèse kantienneLa philosophie pratique de Kant est un intermédiaire décisif entre Aristote et Hegel. Sa force, sa vérité, c’est d’avoir tenté de penser jusqu’au bout la différence entre la liberté arbitraire et la liberté sensée. Comprendre cette différence est l’objet de la Critique de la raison pratique. Si la Critique de la raison pure est une recherche sur les conditions de possibilité de l’objectivité dans la connaissance, la Critique de la raison pratique a pour objet les conditions de possibilité de la volonté bonne. Ces conditions se résument toutes dans le rapport entre la liberté et la loi: la loi est ce qui rend connaissable la liberté et la liberté est la raison d’être de la loi. Être libre, dès lors, ce n’est plus seulement être indépendant à l’égard de ses propres désirs, c’est être capable de subordonner son action à la loi du devoir ou, en termes kantiens, de soumettre la maxime subjective de l’action à l’épreuve de la règle d’universalisation: «Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation universelle.» Il n’y a pas de savoir portant sur la liberté en dehors de la conscience de cette loi fondamentale.Toutes les difficultés de la philosophie kantienne de la liberté sont en même temps la contrepartie de la force et de la rigueur de son analyse. Tout ce que Kant a démontré se borne à cette conjonction de la liberté avec une loi formelle vide, qui a pris la place de la méditation d’Aristote sur les «excellences» de l’action (ou «vertus»). La première difficulté est de concilier avec l’expérience humaine ordinaire cette volonté objective, identique à la raison pratique, entièrement contenue dans le rapport simple, nécessaire, infaillible de la spontanéité de la liberté à la légalité du devoir; pour rejoindre cette expérience morale, il faut ajouter à la détermination par la loi la possibilité de désobéir, c’est-à-dire un rapport contingent, révocable, de la volonté au devoir. Le sens de la liberté oscille entre cette volonté objective, tout entière déterminée par son rapport à la loi, et la volonté arbitraire, qui se révèle dans l’expérience humaine du mal.Cette première difficulté en révèle une plus considérable encore: c’est par une méthode d’isolement et d’abstraction que Kant a dissocié de l’expérience vive la volonté selon la loi et la notion de liberté pour la loi qui lui correspond. En épurant ainsi l’expérience humaine de tous ses traits empiriques, Kant rend incompréhensible le projet même d’une «Critique de la raison pratique», qui était d’expliquer comment une représentation produit un effet dans la réalité. La liberté, en effet, ne serait rien, si elle n’était une sorte de causalité qui produit des effets dans le monde. L’intention profonde d’une «Critique de la raison pratique» est donc bien de rendre compte de la production de la réalité par la liberté. Mais le résultat de la critique détruit son intention; l’analyse engendre seulement des scissions: scission entre la rationalité et le principe des désirs, scission de la forme de la volonté et de son objet, scission de la vertu et du bonheur. À l’inverse d’Aristote, qui avait tenté de discerner l’unité profonde entre l’habitude, la décision et la norme au sein de la vertu de prudence ou sagesse concrète, Kant nous laisse avec les fragments éclatés de la synthèse pratique: d’un côté la sphère du devoir, de l’autre la sphère du désir; d’un côté la volonté objective, univoquement déterminée par la loi, de l’autre la volonté subjective, déchirée entre elle-même et le désir.La dialectique hégélienneLa philosophie hégélienne de la liberté procède de l’échec même du kantisme. Comment, en effet, surmonter les antinomies dans lesquelles s’enferme la philosophie kantienne de la liberté? Répondre à cette question, c’est en même temps reconnaître la nature véritable du discours qui seul convient à ce second niveau du problème de la liberté. Pour Hegel, ce discours ne peut être que dialectique, c’est-à-dire un art de surmonter les contradictions par le moyen de médiations et de synthèses de plus en plus concrètes.Si l’on considère l’histoire passée de la philosophie de la liberté de ce point de vue, il faut reconnaître qu’elle pose une série de questions qui ne peuvent être résolues sans une méthode dialectique. On peut récapituler les situations dialectiques impliquées par un discours sur l’action sensée en suivant la progression de la dialectique hégélienne à travers les niveaux enchaînés de l’Encyclopédie des sciences philosophiques.D’abord, la volonté humaine est une transition entre le désir animal et la rationalité; Aristote l’a définie comme «désir délibéré»; cette expression même implique que la réalité naturelle, résumée dans le mot désir , est niée et néanmoins retenue dans une réalité de rang supérieur apparentée à la rationalité. La décision requiert ainsi une conception dialectique de la réalité, selon laquelle la racine du désir est sublimée dans l’énergie de la décision. Telle est la première situation dialectique; elle est représentée, dans l’Encyclopédie hégélienne, par la transition d’une philosophie de la nature à une philosophie de l’esprit.Deuxième situation dialectique: la scolastique et Descartes conçoivent le jugement comme interaction entre deux facultés, l’entendement et la volonté libre; mais cette interaction est exprimée dans le langage de la causalité réciproque: l’entendement «meut» la volonté et la volonté «meut» l’entendement; on peut voir là l’expression pré-dialectique d’un rapport beaucoup plus fondamental qui régit la promotion mutuelle de la raison théorique et de la raison pratique. Cette situation dialectique n’a pas disparu avec la psychologie des facultés, ni avec la cosmologie qui la soutenait: la distinction kantienne entre raison théorique et raison pratique donne seulement une nouvelle expression à ce problème ancien. Cette seconde situation dialectique constitue l’essentiel de la philosophie de l’esprit subjectif dans l’Encyclopédie de Hegel.La troisième situation dialectique correspond à la transition de la volonté subjective, telle qu’on l’a décrite dans le premier discours sur la liberté, à la volonté objective, qui est l’objet de la détermination éthico-politique chez Aristote et chez Kant. Cette dimension est perdue dans une simple psychologie de la décision, où seule la liberté individuelle est prise en compte, tandis que la dimension politique émigre en dehors du champ de la philosophie de la liberté et constitue le cœur d’une philosophie politique, sous le titre d’une théorie du pouvoir et de la souveraineté. On a évoqué plus haut cette cassure de la philosophie de la liberté à l’époque de Hobbes et de Machiavel. C’est ainsi que l’unité dialectique des deux figures de la liberté, individuelle et collective, psychologique et politique, est perdue. Aristote pourtant n’ignorait pas cette unité, mais il n’avait pas d’appareil logique pour maîtriser ce problème de la relation entre une phénoménologie de la préférence et une philosophie politique. Cette troisième dialectique est le centre de ce que Hegel appelle la philosophie de l’esprit objectif: elle contient la philosophie authentique de la liberté au niveau du discours de l’action sensée. C’est ici, en effet, qu’on rejoint le texte des Principes de la philosophie du droit qui a été placé en tête de cette seconde section. Réaliser la liberté dans un monde de la culture, digne d’être appelé «seconde nature», telle est la tâche de la philosophie du droit. On rappellera seulement deux ou trois mouvements dialectiques fondamentaux qui jalonnent la réalisation de la liberté au niveau de la philosophie de l’esprit objectif.Le premier seuil de la liberté réalisée est la relation de contrat qui lie une volonté à une volonté dans une relation réciproque; la volonté solitaire, qui se borne à s’emparer des choses, est encore une volonté arbitraire; avec le contrat, chaque volonté renonce à sa particularité et reconnaît l’autre volonté comme identique à elle-même dans l’acte de l’échange; tandis que la chose est universalisée dans la représentation abstraite de sa valeur, la volonté est universalisée par l’échange contractuel des choses. Ainsi, la chose fait médiation entre deux volontés, en même temps que la volonté de l’autre fait médiation entre la volonté et la chose possédée. Tel est le premier seuil dans cette histoire pleine de sens de la liberté réalisée.Seule une volonté soumise à l’objectivation dans des œuvres est capable de se reconnaître elle-même comme l’auteur responsable de ses actes. C’est ici le second seuil dans la dialectique de la liberté réalisée: la liberté n’est plus seulement actualisée dans des choses, en tant que choses possédées, mais dans des œuvres et dans des actions qui la représentent dans le monde. Par-delà la simple intention, la volonté doit passer par l’épreuve du succès et de l’échec et lier son sort à quelque phase de l’histoire. Il n’est pas de projet effectif sans cette épreuve de la réalité, sans ce jugement exercé par les autres hommes, et finalement sans le jugement du «tribunal du monde». La liberté apparaît alors comme une dialectique tendue entre une exigence infinie, qui reflète son pouvoir illimité d’auto-affirmation, et la tâche d’auto-réalisation dans une réalité finie. L’individualité n’est pas autre chose que cette confrontation entre l’infini de la réflexion et la finitude de l’actualisation. Seule cette liberté a le droit d’être tenue pour responsable de cela seulement qu’elle a fait et non de tout ce qui arrive par le moyen de son action. C’est dans ce cadre de pensée que la philosophie hégélienne de la volonté libre peut rendre justice à Kant et à la différence que celui-ci avait instituée entre la volonté pour la loi et la volonté arbitraire; mais ce n’est pas seulement la règle abstraite, la loi, qui fait la différence entre volonté objective et volonté subjective, c’est le cours concret de l’action intentionnelle, dans laquelle les aspects subjectifs et objectifs sont mêlés, le désir et la rationalité réconciliés et la quête de satisfaction liée à la quête de rationalité. Une simple morale de l’intention, coupée de l’épaisseur du désir vital et soustraite à l’épreuve de la réalité, est seulement un segment abstrait dans le processus total d’actualisation de la liberté.Et voici le troisième seuil de réalisation de la liberté dans le cadre de l’esprit objectif: une philosophie de la liberté réalisée culmine dans une théorie des communautés concrètes dans lesquelles la volonté est capable de se reconnaître elle-même. Cette objectivation de la liberté individuelle dans la famille, dans la société civile, c’est-à-dire dans la vie économique, et finalement dans l’État réalise le projet aristotélicien d’une philosophie de la liberté individuelle qui serait en même temps une philosophie politique: Rousseau et Kant sont une fois de plus justifiés. Pas d’État, pas de philosophie politique, sans cette équation entre la souveraineté de l’État et le pouvoir de la liberté individuelle. L’État qui ne serait pas une volonté objectivée resterait une volonté étrangère et hostile. C’était là le problème de Rousseau: Hegel le résout avec d’autres ressources que le contrat, lequel appartient seulement à la couche abstraite de la volonté libre.Dire que le discours sur l’action sensée atteint sa fin dans une théorie politique, c’est dire que l’homme a des devoirs concrets, des vertus concrètes seulement lorsqu’il est capable de se situer lui-même à l’intérieur de communautés historiques, dans lesquelles il reconnaît le sens de sa propre existence. On peut être aussi critique que l’on veut à l’égard de l’apologie hégélienne de l’État; le problème posé par Hegel demeure: existe-t-il quelque médiation raisonnable entre le pouvoir individuel, que nous appelons libre choix ou libre-arbitre, et le pouvoir politique que nous appelons souveraineté? Si la vie politique est cette médiation, alors la dialectique entre la liberté individuelle et le pouvoir de l’État est au cœur du problème de la liberté; c’est cette médiation qui, finalement, commande tout le discours sur l’action sensée.3. Le troisième discours: liberté et ontologieÊtre de l’acte et éthique de l’actionC’est dans les termes suivants qu’on a, au début de cet article, introduit le troisième discours: comment la réalité dans son ensemble doit-elle être constituée pour que l’homme y soit un agent, c’est-à-dire l’auteur de ses actes, au double sens du pouvoir psychologique et de l’imputation morale que les deux premières recherches ont permis d’élaborer? Cette question ouvre un type d’investigation qui n’est contenu ni dans la description de l’action intentionnelle, ni dans la dialectique de l’action sensée. Mais ces deux discours renvoient, par des marques expresses, à un fond qui excède aussi bien les traits descriptifs que la structure dialectique de la liberté humaine.De ce renvoi le langage même est témoin. Acte, action, activité: ces mots disent plus que mouvement, geste, comportement, opération, effectuation, voire pratique ou praxis. Ou plutôt ils signalent, dans la conduite humaine, une épaisseur de sens que les deux précédents discours n’épuisent pas; on dira: la révélation d’un caractère d’être. À ce caractère d’être, à ce mode d’être ne rendent justice ni la théorie morale, ni la théorie politique; celles-ci, en effet, ne rendent raison de l’activité libre que pour autant qu’elle est reprise dans un sens susceptible d’être récapitulé dans un savoir. Mais cette fuite en avant vers le sens, si l’on ose s’exprimer ainsi, n’épuise pas le sens. Une autre dimension se creuse, que la métaphore de l’épaisseur ou de la profondeur indique, celle du fond ou du fondement. C’est précisément l’expérience de l’action libre qui creuse, mieux que celle de la perception ou de la connaissance, cette troisième dimension; c’est l’action libre qui révèle quelque chose de l’être comme acte.Ce renvoi du discours éthico-politique au discours ontologique se laisse surprendre dans la philosophie d’Aristote qui est ainsi le témoin des trois discours. Toute l’éthique, dit Aristote, témoigne de ce que l’homme a une œuvre ou une tâche ( 﨎福塚礼益) qui ne s’épuise pas dans l’énumération des compétences, des habiletés, des métiers; la tâche de l’homme désigne une totalité de projets qui enveloppe la diversité des rôles sociaux; or, cette tâche, c’est de vivre, au sens humain du mot vivre; mais qu’est-ce que vivre, pour l’homme? C’est, répond le philosophe, la vie active, l’activité ( 﨎益﨎福塚﨎晴見) réglée, l’activité qui a un logos ; nous circulons ici dans le réseau conceptuel souterrain de l’éthique, là où activité, achèvement, acte sont des termes qui «parlent» à l’inflexion de l’éthique et de l’ontologie: «Si donc il en est ainsi, poursuit Aristote, le bien de l’homme sera une activité de l’âme selon l’excellence et, s’il y a plusieurs excellences, selon la meilleure et la plus achevée. Et ajoutons encore: dans une vie achevée» (Éthique à Nicomaque ). C’est en ce point que l’éthique s’enracine dans une conception du réel où l’être est energeia , activité, acte achevé. Ce n’est plus dans le champ éthico-politique que peut être comprise cette energeia, mais dans le champ de la philosophie première. C’est dans ce nouveau discours, en effet, que peuvent être articulées des notions telles que «puissance» et «acte» qui sous-tendent une éthique de l’activité.Mais la philosophie aristotélicienne n’est pas en mesure de résoudre le problème qu’elle-même pose; finalement, l’acte n’appartient qu’aux êtres sans puissance et sans mouvement, à des êtres éternels et divins; le seul analogue divin de cet acte pur est à chercher du côté non de l’action vertueuse et de la politique, mais de cette activité sans mouvement et sans fatigue que nous appelons sagesse ou contemplation; il faut alors l’avouer: «Ce n’est pas en tant qu’il est homme que l’homme vivra de la sorte, mais en tant qu’il a en lui quelque chose de divin [...] Si c’est donc du divin que l’intellect en regard de l’homme, ce sera une vie divine que la vie selon l’intellect en regard de la vie humaine.»On a ainsi déchiffré, sous la conduite d’Aristote, l’acte – au sens ontologique du mot – dans l’action – au sens éthico-politique. Mais cet acte, repris par une analyse proprement métaphysique, conduit hors de la sphère de la praxis humaine. Du même coup, l’analyse métaphysique constitue plus une limite qu’un fondement de l’agir. Un hiatus se creuse entre la philosophie morale de la praxis et l’ontologie de l’acte. On peut alors se demander si ce manque de médiation entre l’ontologie de l’acte et l’éthique de l’action n’est pas à rapprocher d’un autre trait de la philosophie d’Aristote, à savoir l’absence d’un concept exprès de liberté. Mais, s’il n’y a pas de concept de liberté, chez Aristote, n’est-ce pas parce qu’il n’y a pas non plus chez lui de concept de sujet et de subjectivité ? Et si ce manque est pour nous manifeste, n’est-ce pas parce que nous appartenons à une autre époque de l’être, à un âge métaphysique pour lequel le mode fondamental de manifestation de l’être est la subjectivité?Le surgissement de la subjectivitéL’entrée en scène de la notion de subjectivité nous enjoint de porter notre attention sur le fait que le fond, auquel renvoient les notions d’acte, d’action, d’activité, ressortit à une histoire profonde. Celle-ci ne peut être réduite, semble-t-il, à un pur changement de théorie, qui serait lié lui-même à un changement culturel, encore moins à quelque changement idéologique; elle est, d’une certaine façon, l’histoire même des modes de l’être, des manifestations de l’être; elle affecte non seulement les solutions, mais la position des problèmes; elle émerge à la surface de l’histoire de la philosophie sous la forme de nouvelles manières de questionner. Le surgissement de la subjectivité au premier plan de la philosophie occidentale est un de ces tremblements de terre qui font leur apparition dans les profondeurs du penser, du penser de l’être.C’est ainsi que l’histoire métaphysique du concept de liberté est, pour l’essentiel, l’histoire de son alliance avec la subjectivité. Elle implique une série de seuils qui ne coïncident pas nécessairement avec un progrès dans la description phénoménologique, ni même avec des articulations signifiantes aux plans éthique et politique.Trois seuils d’émergence de la subjectivité ont pris une signification pour l’histoire profonde de la liberté. Premièrement, la liberté doit être conçue comme infinie pour devenir subjective, au sens fort du mot; Hegel souligne sans cesse cette conjonction entre réflexion et infini. Or, cette infinitude est inconnue d’Aristote. Pour lui, le pouvoir de choisir n’est effectif que dans un champ limité de délibération au milieu de situations finies; la délibération porte sur les moyens plutôt que sur les fins; la vertu elle-même, en tant que milieu entre deux extrêmes, définit les règles de l’action finie. Une révolution s’est donc produite, qui a inversé la relation entre l’infini et le fini. Ce premier renversement, dit Hegel dans La Philosophie du droit, marque le tournant du monde grec au monde chrétien: «Le droit de la particularité à se trouver satisfaite, ou, ce qui est la même chose, le droit de la liberté subjective, constitue le point critique et central de la différence entre l’Antiquité et les Temps modernes. Ce droit, dans son infinité, est exprimé dans le christianisme et y devient le principe universel réel d’une nouvelle forme du monde.» Désormais, à la métaphysique de l’action finie succède la métaphysique du désir de Dieu. Ce tournant peut être reconnu chez saint Augustin, pour qui la voluntas se révèle, dans sa grandeur terrible, dans l’expérience du mal et du péché; la liberté a le pouvoir de nier l’être, de «décliner» et de «défaillir», de se «détourner» de Dieu, de se «tourner vers» la créature; ce pouvoir redoutable – ce «pouvoir-pécher» – est la marque de l’infini sur la liberté. Peut-être n’y a-t-il eu volonté et liberté dans la philosophie occidentale qu’après que la pensée eut été confrontée avec ce qu’Augustin appelle le «mode défectif» de la volonté. Ce serait une première manière d’expliquer a contrario l’absence du concept de liberté – et même de volonté – chez Aristote, s’il est vrai que cette absence est celle de la subjectivité et que la subjectivité moderne commence avec la méditation augustinienne sur la puissance de défection de la volonté libre.Un deuxième seuil dans l’émergence de la liberté comme subjectivité est représenté par le cogito cartésien, selon lequel le sujet est celui pour qui le monde est une représentation, un tableau déployé devant le regard. On se réfère ici, bien entendu, à l’interprétation que Heidegger donne de la certitude et de la recherche de certitude dans son fameux essai sur L’Âge du monde comme tableau. Or, cette promotion du cogito – poussé au centre du spectacle et élevé au rang de première vérité – ne peut pas ne pas affecter la philosophie de la liberté. Au plan proprement phénoménologique, la volonté cartésienne, pouvoir du oui et du non, peut continuer d’être envisagée dans le même cadre de pensée que la description aristotélicienne de la préférence ou que la description scolastique de l’action réciproque de la volonté et de l’entendement. La nouveauté cartésienne n’est pas à ce plan de la théorie du jugement et de l’erreur; la liberté est plus profondément une dimension du cogito , sum ; elle est la positipn même du cogito , en tant qu’il s’arrache au doute et s’assure de lui-même; elle est la liberté de pensée en tant que telle, la «libre pensée» au sens le plus fondamental du mot.Antinomie de la liberté et de la natureLe troisième seuil de cette conquête de la subjectivité, en tant que mode fondamental de l’être, consiste dans la reconnaissance de l’antinomie entre liberté et nature. Cette antinomie n’a pu être conçue aussi longtemps que la nature elle-même n’a pas été unifiée sous une unique législation, ce qui n’advint pas avant Newton, ni avant Kant réfléchissant sur les idées de ce dernier. Maintenant, la liberté est exilée du champ de la nature; nulle unité systématique n’est plus capable d’embrasser, à l’intérieur d’une unique cosmologie, la notion d’un effet selon la nature et celle d’un acte libre imputable à un sujet éthique. Il était nécessaire que la pensée spéculative fût soumise à cette épreuve de l’antinomie. Celle-ci ne pouvait être reconnue à l’intérieur d’une phénoménologie de la décision, sinon dans la distinction du motif et de la cause, ni dans le discours de la vie éthique et politique, sinon dans la distinction de l’obligation morale et du désir. L’antinomie ne pouvait apparaître que sur le plan de la cosmologie, comme une rupture à l’intérieur du concept même de causalité ; il est très important que la troisième antinomie kantienne fasse paraître la scission de la liberté et de la nature comme un problème de la raison dans son travail pour penser l’intégralité de la causalité; la thèse de la liberté et l’antithèse du déterminisme s’opposent comme des manières incompatibles d’achever la série des phénomènes, soit que la raison conçoive «une spontanéité des causes, capable de commencer une série de phénomènes» – donc une causalité libre –, soit qu’elle forme une série sans fin d’antécédents et de conséquents d’où la causalité libre est exclue.Cette scission est bien plus radicale que toutes celles qui apparaissent dans le champ pratique: entre loi et désir, entre volonté objective et volonté subjective; cette scission n’est reconnue que dans le sillage d’une théorie de l’illusion transcendantale, c’est-à-dire d’une théorie réflexive sur les échecs de la raison. Seule une raison qui s’est proposé de totaliser l’expérience, à un autre niveau que celui de la légalité d’entendement, entre dans la problématique dont l’antinomie marque l’échec. C’est donc sous le signe de l’illusion et de l’échec que la volonté libre accède à la réflexion; dans la ruine de la cosmologie traditionnelle, la liberté se découvre comme ce qui ne peut faire nombre avec la nature, comme exilée de toute nature. Tel est l’événement spirituel énoncé par la dialectique de la raison pure.Mais l’antinomie de la liberté et de la nature est-elle le dernier mot de la pensée? Kant la tenait pour une œuvre de raison (Vernunft ) et non pas seulement d’entendement (Verstand ). L’entendement, pour lui, met en ordre les phénomènes, se meut de condition en condition; la raison pose la question radicale de l’origine et demande un inconditionné à l’origine de la série des conditions. En ce sens, c’est bien la raison qui pose la question radicale d’un commencement dans la causalité. Et pourtant, en un autre sens, on peut se demander, avec Hegel, si une pensée qui sépare, qui scinde ne reste pas une pensée d’entendement. L’antinomie kantienne, semble-t-il, appelle une autre sorte de pensée que la pensée critique, une pensée qui ne se borne pas à renvoyer dos à dos la causalité libre et la causalité naturelle, mais qui les compose ensemble.La mise en question de l’« esprit » hégélienC’est à ce point que survient la philosophie hégélienne. On a dit plus haut quel rôle y joue l’activité médiatrice de la raison, pour surmonter successivement l’opposition de la nature et de l’esprit, celle de l’esprit subjectif et de l’esprit objectif, dans le monde de la culture et de l’État. Mais, au niveau de l’histoire profonde auquel on se situe maintenant, ce qui doit être mis en question, c’est la notion même de l’«esprit» (Geist ), à partir de laquelle cette dialectique se constitue. C’est le Geist qui est dialectique, et la liberté est dialectique en tant que Geist ; mais on n’avait aucun moyen, aux plans éthique et politique où l’on se tenait, de mettre en question le Geist hégélien, puisqu’il était le présupposé, ce à partir de quoi pouvaient être pensées toutes les médiations de l’action libre. Au plan de l’histoire profonde, l’hégélianisme, avec sa notion de Geist , apparaît à son tour comme un des moments de la métaphysique occidentale, comprise comme émergence de la subjectivité. La question est de savoir si la philosophie hégélienne, en dépit de sa prétention englobante, n’appartient pas à une époque, ne partage pas la finitude d’un mode d’être, le mode d’être de la subjectivité. Ce serait en cela qu’elle achèverait la philosophie occidentale; elle l’achèverait en ce sens qu’elle maintient sous le point de vue du Geist , non seulement les antinomies kantiennes, mais toutes les antinomies de la philosophie occidentale prises ensemble. Considérée rétrospectivement du point de vue du Geist hégélien, toute l’histoire de la philosophie est une lutte entre le point de vue de la substance, illustré par Aristote et Spinoza, et le point de vue du sujet libre, illustré par Descartes et Kant. Le Geist hégélien veut être la réconciliation de la substance et du sujet, la subjectivisation de la substance. En lui, la substance est sujet. Toutes les réconciliations partielles entre désir et rationalité, entre représentation et volition, entre volonté objective et volonté subjective, entre liberté individuelle et État se tiennent dans la limite de cette réconciliation majeure de la substance et de la subjectivité. C’est au niveau de l’histoire profonde que la philosophie hégélienne paraît adopter à son tour un point de vue fini. La venue à l’histoire d’un nouveau mode d’être, avec Kierkegaard, Marx et Nietzsche, fait apparaître le Geist hégélien comme limité et clos. Tant qu’on se tient en lui, tout ce qu’il récapitule y paraît en effet contenu; mais nous avons cessé de nous tenir en lui. Après coup, il apparaît comme une autre réduction du fondement, du fond de l’être, signifiée par la qualification d’«idéalisme». Certes, cette accusation est bien souvent injuste et procède d’une lecture mutilante, comme c’est le cas chez tous ses détracteurs, y compris Kierkegaard, Marx et Nietzsche; néanmoins, quelque chose d’important est perçu à travers l’accusation d’idéalisme, à savoir que l’existence, la pratique humaine, la volonté en tant que puissance s’inscrivent, désormais, en dehors de l’enceinte dessinée par l’acte de récapitulation dans le Geist. C’est cette excroissance – au sens propre d’une croissance hors du discours hégélien – qui est aujourd’hui à penser. Ce qui paraît exorbitant aujourd’hui, c’est la prétention de réduire le surgissement de la liberté au discours. Si, après Hegel, cette prétention paraît intenable, c’est parce que la «crise», survenue au niveau de l’histoire profonde, affecte le rapport même de la liberté et de la vérité. Dans une philosophie de l’esprit, la question dominante est celle de la vérité, atteinte ou effectuée en chaque nouveau moment. Et, comme la vérité de chaque moment est dans le suivant, c’est-à-dire dans un autre moment où la contradiction du précédent est médiatisée et surmontée, tout le procès peut être considéré du point de vue d’un regard rétrospectif qui, partant du savoir absolu, récapitule le procès accumulé. Ainsi, tout le mouvement a sa condition de possibilité dans la position du philosophe, dans son avance à l’égard du développement entier, dans une parole placée en position absolue à la fin du procès. Cette revendication du philosophe de se situer quelque part, à la fois au-delà et dans le milieu du procès, peut être mise en question en tant que prétention. Cette mise en question est l’événement fondamental de l’époque post-hégélienne.Ce qui paraît alors s’ouvrir, après l’échec du savoir hégélien, c’est une interprétation , qu’aucun savoir ne peut récapituler, de tous les signes qui attestent que le fond de l’être est acte: mais ces signes ne sont pas à chercher ailleurs que dans le jeu de renvoi, par lequel l’expérience quotidienne de l’action intentionnelle ainsi que la recherche d’une action sensée au plan éthique et politique pointent en direction de l’être «dans lequel nous sommes, nous vivons et nous nous mouvons».• libertés « franchises accordées à une ville » 1266; livreteit « libre arbitre » v. 1190; lat. libertasI ♦ (1324; sens étroit)1 ♦ État, situation d'une personne qui n'est pas sous la dépendance absolue de qqn (opposé à esclavage, servitude).⇒vx franchise. Donner la liberté à un esclave, à un serf. ⇒ affranchir. « je ne vous demande que la liberté d'une jeune esclave » (Voltaire). Priver de liberté : asservir, détenir, emprisonner.2 ♦ Situation d'une personne qui n'est pas retenue captive (opposé à captivité, emprisonnement). Rendre la liberté à un prisonnier. ⇒ délivrer. Mettre en liberté; mise en liberté. ⇒ élargissement, relaxation, sursis. — Dr. Liberté provisoire, accordée à un individu en état de détention préventive. Liberté sous caution. Liberté surveillée.♢ Par anal. Poulets élevés en liberté.II ♦ (Sens large) État de ce qui ne subit pas de contrainte.1 ♦ (1530) Possibilité, pouvoir d'agir sans contrainte. On lui laisse peu de liberté, trop de liberté. Heures de liberté. ⇒ loisirs. — « ma liberté s'arrête là où commence la liberté de l'autre » (Garaudy). — Agir en toute liberté, en pleine liberté. ⇒ librement. — Avoir toute liberté pour faire qqch. ⇒ crédit, facilité, faculté, latitude (cf. Avoir un blanc-seing, carte blanche, le champ libre, les coudées franches, les mains libres). — Sc. Degré de liberté.♢ Spécialt État d'une personne qui n'est pas liée par un engagement. ⇒ autonomie, indépendance. Reprendre sa liberté : se dégager d'un engagement envers qqn; spécialt quitter son conjoint.♢ LIBERTÉ DE (suivi d'un nom ou d'un inf.) :droit, permission de faire qqch. « sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur » (Beaumarchais). Donner à qqn toute liberté d'action. ⇒ autorisation, permission. Prendre la liberté de : se permettre de. J'ai pris la liberté de l'avertir.2 ♦ (1680) Au plur. Prendre des libertés : ne pas se gêner, se montrer d'une familiarité excessive. ⇒ licence. — Spécialt Prendre des libertés avec une femme. ⇒ familiarité, privauté. Fam. Prendre des libertés avec l'orthographe.3 ♦ Dans quelques expr. LIBERTÉ DE : absence de contrainte dans (la pensée, l'expression, l'allure, le comportement). Liberté d'esprit : indépendance d'un esprit qui n'est pas dominé par la crainte, par des préoccupations obsédantes ou encore par des préjugés, des préventions. ⇒ disponibilité, indépendance. Garder sa liberté de jugement. Avoir une grande liberté de pensée. — (1835) Liberté de langage. ⇒ audace, franchise, franc-parler, hardiesse. — Liberté d'allures : aisance dans les mouvements. ⇒ aisance. « une élégance et une liberté d'allures que n'ont pas nos femmes » (Gautier). Liberté de mœurs. ⇒ émancipation.III ♦ (Politique, social)1 ♦ Pouvoir d'agir, au sein d'une société organisée, selon sa propre détermination, dans la limite de règles définies. Liberté civile : droit de faire tout ce qui n'est pas défendu par la loi. Liberté naturelle et liberté civile. — Liberté politique : droit pour le peuple, les citoyens de se donner des lois directement ou par le choix de représentants.2 ♦ Absolt (1538) LA LIBERTÉ : absence ou suppression de toute contrainte considérée comme anormale, illégitime, immorale. La liberté n'est pas l'anarchie. « La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens » (Montesquieu). « Liberté, Égalité, Fraternité », devise de la République française. Champion, défenseur, martyr de la liberté. Vive la liberté ! La liberté ou la mort ! « Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » (dernières paroles attribuées à Mme Roland). Arbre de la liberté.3 ♦ (1694) Pouvoir que la loi reconnaît aux individus (dans un domaine précis). ⇒ 3. droit. « Le premier des droits de l'homme, c'est la liberté individuelle, la liberté de la propriété, la liberté de la pensée, la liberté du travail » (Jaurès). Les libertés fondamentales. C'est une atteinte aux libertés ! — Libertés publiques : l'ensemble des libertés reconnues à l'individu (libertés individuelles) et aux groupes sociaux. Liberté individuelle, liberté physique : ensemble des garanties contre les arrestations, les détentions et pénalités arbitraires (⇒ habeas corpus ; sûreté) . Liberté d'association, de réunion. « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions » ( DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ). Liberté syndicale. Liberté de la presse. Liberté religieuse : droit de choisir sa religion ou de n'en point avoir (liberté de conscience), de pratiquer la religion de son choix, d'en célébrer le culte (liberté du culte). Liberté de l'enseignement. Liberté du travail. Liberté du commerce, des échanges internationaux. ⇒ libre-échange. Liberté des changes (opposé à contrôle) . Doctrines favorables aux libertés. ⇒ libéral.4 ♦ (1266) Au plur. Libertés des communes, des villes; libertés locales. ⇒ autonomie, franchise, immunité.5 ♦ Combattre pour la liberté de sa patrie. ⇒ indépendance, libération.IV ♦ Philos., psychol.1 ♦ Caractère indéterminé de la volonté humaine; libre arbitre. ⇒ indéterminisme. « La liberté de notre volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons » (Descartes). « cette liberté se réduit à une affirmation [...] de l'autonomie de la pensée » (Sartre). La liberté, fondement du devoir, de la responsabilité, de la morale.2 ♦ Liberté morale : état d'une personne qui agit avec pleine conscience et après réflexion (opposé à inconscience, impulsion, folie) ou conformément à la raison (opposé à passion, instinct).⊗ CONTR. Captivité, dépendance, esclavage, servitude. — Assujettissement, contrainte, 1. défense, entrave, interdiction, obligation. Confusion, gêne, raideur. — Dépendance, oppression. Réglementation. — Déterminisme, destin , fatalité.Synonymes :Contraires :Condition d'un peuple qui se gouverne en pleine souverainetéSynonymes :- indépendanceContraires :Situation de quelqu'un qui se détermine en dehors de toute...Synonymes :- faculté- latitude- licence- pouvoirContraires :Possibilité d'agir selon ses propres choix, sans avoir à en...Synonymes :- indépendanceContraires :- dépendance- intégrationTemps libre, dont on peut disposer à son gréSynonymes :- disponibilité- loisirContraires :- activité- travailÉtat de quelqu'un ou d'un animal qui n'est pas retenu...Contraires :- captivité- détention- incarcérationSituation psychologique de quelqu'un qui ne se sent pas contraint...Synonymes :Manière d'agir de quelqu'un qui ne s'encombre pas de scrupulesSynonymes :- dérèglement- désinvolture- familiarité- irrévérence- sans-gênelibertén. f.rI./r Par oppos. à esclavage, à captivité.d1./d Condition d'une personne libre, non esclave, non serve. L'esclave romain pouvait parfois obtenir la liberté.d2./d état d'une personne qui n'est pas prisonnière.|| Liberté surveillée: régime imposé à certains délinquants mineurs qui sont rendus à leur famille, mais sous la surveillance et le contrôle d'un délégué.|| Liberté provisoire: état d'un inculpé qui n'est pas emprisonné, tant qu'il n'est pas encore jugé.|| Par ext. Animaux en liberté, non enfermés dans des cages, dans un enclos.rII./r Par oppos. à oppression, à interdiction.d1./d Possibilité, assurée par les lois ou le système politique et social, d'agir comme on l'entend, sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits d'autrui ou à la sécurité publique.|| Liberté naturelle, celle qui doit être accordée à tout homme en vertu du droit naturel.|| Liberté civile: droit d'agir à sa guise, sous réserve de respecter les lois établies.|| Liberté politique, celle d'exercer une activité politique, d'adhérer à un parti, de militer, d'élire des représentants, etc.|| Liberté individuelle: droit de chaque citoyen de disposer librement de lui-même et d'être protégé contre toute mesure arbitraire ou vexatoire (emprisonnement arbitraire, astreinte à résidence, interdiction de se déplacer, etc.).d2./d Absol. La liberté: le principe politique qui assure aux citoyens la liberté individuelle, la liberté civile, la liberté politique.d3./d Liberté de...: chacune des possibilités qui réalisent ce principe de liberté (dans un domaine déterminé).— Liberté de conscience, concernant le choix d'une religion ou le refus d'avoir une religion.— Liberté du culte, concernant l'exercice du culte public des diverses religions.— Liberté d'opinion, de pensée, d'expression: droit d'avoir et d'exprimer des opinions religieuses, politiques, philosophiques.— Liberté de la presse: droit de publier des journaux, des livres sans autorisation préalable ni censure.— Liberté syndicale: droit d'adhérer à un syndicat de son choix ou de n'adhérer à aucun.d4./d (Plur.) Droits locaux. Libertés communales.rIII/r Par oppos. à contrainte, gêne, entrave.d1./d état d'une personne qui n'est pas liée, engagée. Dans ce cas, je dénonce le contrat et je reprends ma liberté.d2./d état d'une personne qui n'est pas gênée dans son action par le manque de temps, les préoccupations, etc. Ce travail me laisse peu de liberté. Quelques instants de liberté.d3./d Manière aisée, non contrainte, de penser, d'agir, de parler, etc. Liberté d'esprit. Liberté d'allure. Liberté de langage.d4./d Je prends la liberté de vous écrire: je me permets de vous écrire, j'ose vous écrire.— Plur. Prendre des libertés: agir avec désinvolture, familiarité, ou sans respect des règles. Il prend des libertés avec la syntaxe.rIV./r PHILO Possibilité qu'a l'homme d'agir de manière autonome, sans être soumis à la fatalité ni au déterminisme biologique ou social.⇒LIBERTÉ, subst. fém.I. — [Correspond à libre I] État de celui, de ce qui n'est pas soumis à une ou des contrainte(s) externe(s).A. —[Correspond à libre I A; à propos de l'homme (de ce qui le concerne) en tant qu'individu particulier ou en tant que membre d'une société politique] Condition de celui, de ce qui n'est pas soumis à la puissance contraignante d'autrui.1. [À propos d'un individu particulier]a) Condition de celui qui n'appartient pas à un maître. Anton. esclavage, servitude. Racheter sa liberté. Si quelque puissance était assez morale pour se disposer la première à donner la liberté à ses nègres, ses voisins seraient forcés de l'imiter (Le Moniteur, t. 2, 1789, p. 514). La propriété et la liberté font aimer la terre à l'homme; la servitude la lui fait haïr (HUGO, Rhin, 1842, p. 441) :• 1. Tant que l'individu [jusqu'au XIIIe siècle] avait travaillé isolément pour le service d'un château, d'une abbaye ou d'une maison royale, l'histoire de son existence s'était résumée dans le labeur quotidien du serf : il n'avait ni liberté, ni profit; il était, comme ce qui sortait de ses mains, la propriété d'un maître.FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 68.b) Condition de celui qui n'est pas retenu prisonnier, qui n'est pas détenu. Jean-Jacques dit avec raison qu'on peint mieux les charmes de la liberté quand on est sous les verrous (DELACROIX, Journal, 1853, p. 91). N'est-ce-pas sous leur règne [de nos gouvernants] que Picquart, soldat fidèle à sa patrie, se voit refuser le droit, dont bénéficia le traître Esterhazy, de comparaître en liberté devant ses juges? (CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p. 261). Nicolaïeff a reçu les mots suivants, écrits en capitales : Si Ling n'est pas en liberté demain, les otages seront exécutés (MALRAUX, Conquér., 1928, p. 132).SYNT. Compromettre, décider de, en vouloir à, menacer la liberté de qqn; enlever, ôter, rendre la liberté à qqn; priver qqn de liberté; laisser, (re)mettre qqn en liberté; liberté sous contrôle judiciaire.— DROIT♦ DR. INTERNAT. Liberté sur parole.♦ DR. PÉNAL. Liberté provisoire (sous caution), liberté surveillée.— En partic. Condition d'un malade mental qui n'est pas ou qui n'est plus soustrait à la vie en société. Nous avons ici près de cent aliénés enfermés, sans parler de ceux qui sortent en liberté ou qui sont détenus par leurs familles (ABOUT, Grèce, 1854, p. 49).— P. anal.♦ État d'un animal qui ne vit pas en captivité. Cela le réjouissait de voir des champs, des buissons, des bois, des animaux en liberté, spectacle dont il était privé depuis qu'il habitait la ville (GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 360). J'étais entré dans la cage de mon sansonnet à qui je rends la liberté chaque soir après que les chats sont enfermés, et qui chaque matin y revient de lui-même (GIDE, Journal, 1914, p. 433).♦ État de la nature (caractère d'une de ses manifestations) en tant qu'elle ne porte pas la marque de l'homme. La liberté de l'eau et des forêts tenait toute la largeur du monde (GIONO, Batailles ds mont., 1937, p. 81) :• 2. C'était la première fois que je revoyais le peuplier, depuis les bords du Rhône et de la Saône. Il jetait son voile pâle et mobile sur toute cette vallée du fleuve; mais comme il n'est pas ébranché ni planté par la main de l'homme, il y croît par groupes, et y étend ses rameaux en liberté avec bien plus de majesté, de diversité de formes et de grâce que dans nos contrées.LAMART., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 286.2. a) Pouvoir que le citoyen a de faire ce qu'il veut, sous la protection des lois et dans les limites de celles-ci. La liberté publique ne peut s'établir que par le sacrifice des libertés privées (JOUBERT, Pensées, t. 1, 1824, p. 357). À la base de notre civilisation, il y a la liberté de chacun dans sa pensée, ses croyances, ses opinions, son travail, ses loisirs (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p. 569) :• 3. La liberté est le pouvoir qui appartient à l'homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui; elle a pour principe la nature, pour règle la justice, pour sauvegarde la loi; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'il te soit fait.Recueils textes hist., Constitution de l'an I, 1793, p. 68.♦ Liberté naturelle [P. oppos. à liberté civile] Pouvoir qu'a l'homme vivant à l'état de nature d'user comme bon lui semble de ses facultés. Sera-ce le sauvage, vagabond dans ses déserts, à qui le mien et le tien sont inconnus, qui passera tout à coup de la liberté naturelle à la liberté civile, sorte de liberté purement abstraite, et qui suppose de nécessité, toutes les idées antérieures de propriété, de justice conventionnelle, de force comparée du tout à la partie, etc. (CHATEAUBR., Essai Révol., t. 1, 1797, p. 38).— P. ext. Liberté d'une nation. État d'une nation qui reconnaît aux citoyens leurs droits civils et politiques ou dont les actes et les déterminations sont le fait des citoyens. Cette France du dix-neuvième siècle à qui Mirabeau a fait sa liberté et Napoléon sa puissance (HUGO, Hernani, 1830, p. III).♦ Liberté politique. Droit des citoyens de désigner des représentants qui contrôlent les actes du pouvoir exécutif, discutent et élaborent les lois. Quand l'amour des Français pour la liberté politique se réveilla, ils avaient déjà conçu en matière de gouvernement un certain nombre de notions qui, non seulement ne s'accordaient pas facilement avec l'existence d'institutions libres, mais y étaient presque contraires (TOCQUEVILLE, Anc. Rég. et Révol., 1856, p. 265). Au plur., mod. Peut-être les Soviétiques de l'avenir s'estimeront-ils pleinement satisfaits quand ils connaîtront les délices d'appartenir à une « société de consommation », quand sera définitivement garantie leur sécurité personnelle; auquel cas le révisionnisme en U.R.S.S. n'irait pas jusqu'à rétablir les libertés politiques : élections libres, pluralité des partis, légitimité de l'opposition, droit à la contestation du régime (L. DE VILLEFOSSE, Géogr. de la Liberté, Paris, R. Laffont, 1965, p. 395).b) En partic. Pouvoir ou droit reconnu et garanti au(x) membre(s) d'une société dans un domaine particulier. Libertés constitutionnelles, démocratiques; libertés individuelles et collectives; défendre, maintenir, respecter, violer les libertés; privation des libertés; Commission Informatique et Libertés. J'entends, par vraie liberté, tout à la fois la liberté supra-politique à laquelle tend la personne humaine, et les libertés sociales et politiques dont elle exige à cette fin dès la base l'organisation collective (MARITAIN, Human. intégr., 1936, p. 293) :• 4. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.Déclar. univ. Dr. Homme, 1949, art. 2, p. 5.♦ [Dans le vocab. marxiste] Libertés formelles et libertés réelles.— DR. Libertés publiques. Ensemble des droits reconnus à l'individu considéré isolément ou en groupe, face à l'autorité politique et en particulier face à l'État. Exercer une liberté publique; l'édiction, la garantie, la proclamation des libertés publiques. La séparation des pouvoirs que répudie tout régime totalitaire ou absolutiste, est une condition nécessaire des libertés publiques (C.-A. COLLIARD, Libertés publiques, Paris, Dalloz, 5e éd., 1975 [1950], p. 41). V. asseoir ex. 16.♦ [Concernant la personne] Liberté d'aller et de venir ou liberté de circulation. Possibilité de se déplacer et de se fixer selon ses désirs. La constitution garantit pareillement, comme droits naturels et civils : la liberté à tout homme d'aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté ni détenu, que selon les formes déterminées par la constitution (Doc. hist. contemp., Constitution de 1791, p. 55) Liberté (individuelle ou physique). Ensemble des garanties contre toute détention, arrestation ou pénalité non prévue par la loi. Synon. sûreté. Des moyens d'assurer la liberté individuelle contre les détentions illégales ou d'autres actes arbitraires (Code instr. crim., 1808, p. 791). Liberté de l'intimité. La liberté de l'intimité, dans ses deux composantes essentielles, l'inviolabilité du domicile et l'inviolabilité de la correspondance, est le prolongement de la sûreté (G. BURDEAU, Les Libertés publiques, Paris, Libr. Gén. de Droit et de Jurisprudence, 3e éd., 1966, p. 163). En partic. Liberté du domicile. Possibilité de choisir son domicile, d'en changer à sa convenance; garantie contre sa violation. Au début de notre ancien droit français, la liberté individuelle et la liberté du domicile étaient choses inconnues. Ces mots n'existaient pas. Ce n'est que peu à peu que l'on vit apparaître quelques décisions de justice, quelques actes de l'autorité royale relatifs à la sûreté du foyer (P. CASSAGNE, La Notion de domicile et ses effets principaux en dr. pénal, Nancy, Bailly et Wettstein, 1937, p. 188).♦ [Concernant le groupe] Liberté d'association. Droit de mettre en commun de façon permanente une activité et des connaissances dans un but non lucratif. V. droit3 ex. 13. Liberté de réunion. Droit de se rassembler, de façon momentanée et occasionnelle, en vue d'échanger des idées, des opinions ou de se concerter pour défendre des intérêts. Les constitutions de l'URSS (...) contiennent toutes un certain nombre d'articles sur la vraie liberté de conscience, la vraie liberté d'opinion, la vraie liberté de réunion, la vraie liberté d'association (Univers écon. et soc., 1960, p. 64-3).♦ [À contenu intellectuel] Liberté de conscience (v. ce mot II C 1) ou de croyance; liberté religieuse; liberté du ou des culte(s). Droit pour chacun de choisir sa religion et de la pratiquer, notamment en assistant à des offices publics. Nous ne sommes pas les ennemis de la religion, d'aucune religion. Nous sommes au contraire, les serviteurs de la liberté de conscience, respectueux de toutes les opinions religieuses et philosophiques (Fondateurs 3e Républ., Gambetta, 1878, p. 179). V. culte ex. de RÉAU-ROND. 1951. Liberté d'enseignement. Droit d'enseigner, d'opter pour un enseignement et de choisir le maître qui doit le dispenser. Le principe de la liberté de l'enseignement en dehors des principes libéraux qui régissent l'enseignement public signifie que, sauf à remplir les conditions objectivement fixées par la loi, tout Français peut ouvrir un établissement d'enseignement (C.-A. COLLIARD, Libertés publiques, Paris, Dalloz, 5e éd., 1975 [1950]p. 40). Liberté d'opinion ou de pensée [impliquant liberté d'expression]. Droit pour tout individu de communiquer une opinion. Il résulte de la jurisprudence du Conseil d'État que dans l'exercice de sa liberté d'opinion un fonctionnaire doit faire preuve d'une certaine réserve à l'égard notamment des institutions et de la politique générale du gouvernement (arrêté Célignac, 31 mars 1950) (Encyclop. éduc. Fr., 1960, p. 288). En partic. Liberté de la presse. Droit de communiquer une opinion, des idées en la ou les diffusant et notamment en la ou les publiant. Un État autoritaire ou totalitaire confisque toujours à son profit la liberté de la presse (Civilis. écr., 1939, p. 44-4).♦ [À contenu écon. et soc.] Liberté économique. Possibilité de créer et de gérer une entreprise (liberté d'entreprise), d'exercer la profession de son choix, de conclure des contrats d'ordre privé (liberté des conventions ou liberté de contrat). Opposant à la noblesse l'égalité des droits et ouvrant simultanément, par la liberté économique, la carrière au capitalisme, la bourgeoisie française elle-même avait préparé un mouvement d'idées et une transformation sociale dont la contradiction finit par caractériser une nouvelle époque dans la marche dialectique de l'histoire (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p. 652). En partic. Liberté du commerce et de l'industrie [impliquant notamment liberté de la concurrence, de la circulation des travailleurs, des échanges]. Liberté du travail. Droit de louer ses services selon sa volonté; au plur. ensemble des droits relatifs à l'exercice d'une profession. Affirmé par le décret d'Allarde de 1791, le principe de la liberté du travail demeure fondamental : il s'oppose aussi bien à toute intervention administrative, autoritaire, dans l'embauchage qu'à un engagement illimité vis-à-vis de l'employeur ou à une pression syndicale ou collective (G.-H. CAMERLYNCK, G. LYON-CAEN, Précis de dr. du travail, Paris, Dalloz, 5e éd., 1972, p. 67). En partic. Liberté syndicale. Possibilité d'adhérer au syndicat de son choix ou de ne pas se syndiquer; au plur., ensemble des droits relatifs à la formation d'un syndicat et à l'exercice du syndicalisme. Le système de droit commun en matière de liberté syndicale se trouve renforcé et consolidé, dans la plupart des pays, du fait de la consécration du droit d'association par les constitutions nationales. La plupart des constitutions garantissent aujourd'hui le droit d'association, soit en général, soit pour les associations professionnelles de travailleurs et d'employeurs (Bureau International du Travail, La Liberté syndicale, Genève, Atar, Arts Graphiques, 1959, p. 58).c) État d'un pays, d'une nation qui n'est pas sous une domination étrangère. Toutes les tribus indiennes conspirant, après deux siècles d'oppression, pour rendre la liberté au Nouveau-Monde, me parurent offrir un sujet presque aussi heureux que la conquête du Mexique (CHATEAUBR., Natchez, 1826, p. 102). À mesure que notre peuple recouvrait la liberté, nous pouvions compter ses blessures (DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p. 619).— En partic.♦ Autonomie d'une ville, d'une commune qui avait son propre gouvernement (vieilli), qui a des droits et une autonomie de gestion face à l'autorité gouvernementale (mod.). En France, la liberté municipale a survécu à la féodalité. Lorsque déjà les seigneurs n'administraient plus les campagnes, les villes conservaient encore le droit de se gouverner (TOCQUEVILLE, Anc. Rég. et Révol., 1856, p. 110) :• 5. ... s'il y a, pour toutes les populations de la France, une réforme à laquelle elles soient attachées du fond de l'âme, c'est celle qui assurera la liberté et l'indépendance de la commune, c'est celle qui établira véritablement les franchises municipales parce que, pour le citoyen le plus humble comme pour le plus élevé, la commune est la meilleure, la plus intime réduction de la patrie...Fondateurs 3e Républ., Gambetta, 1876, p. 321.♦ Au plur. Ensemble des droits et privilèges dont jouissaient autrefois certaines villes (vieilli); ensemble des droits et prérogatives dont jouissent les collectivités (mod.). Ils [Les états du royaume] exigèrent aussi impérieusement que les Parisiens la suppression des impôts, et redemandèrent les franchises, libertés, privilèges et immunités, tels qu'ils avaient été donnés par Philippe-le-Bel (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 1, 1821-24, p. 202).HIST. Libertés de l'Église gallicane ou libertés gallicanes. Franchises revendiquées sous Louis XIV, par l'Église de France face au Saint Siège. Le clergé français a longtemps hésité entre l'autorité du pape et celle du roi; et lorsque Bossuet a soutenu ce qu'on appelle les libertés de l'Église gallicane, il a, dans sa politique sacrée, conclu l'alliance de l'autel et du trône, mais en la fondant sur les maximes de l'intolérance religieuse et du despotisme royal (STAËL, Consid. Révol. fr., t. 1, 1817, p. 281).— Spécialement♦ DR. COMM. Liberté de l'air. Ensemble des facilités accordées par un pays aux avions commerciaux étrangers qui traversent son territoire (d'apr. BARR. 1974).♦ DR. MAR. Liberté de la (haute, pleine) mer ou des mers. Droit pour tout pays de naviguer sur les mers non enclavées (d'apr. BARR. 1974). Il y a des gages que l'Allemagne a perdus et qu'elle est impuissante à recouvrer (la liberté des mers, ses colonies) (BARRÈS, Cahiers, t. 11, 1917, p. 235). En ce qui concerne les usages internationaux, deux usages tempèrent le principe de liberté : la reconnaissance de l'existence de la mer territoriale d'une part et les droits des belligérants sur les navires neutres d'autre part (LE CLÈRE 1960).d) [Sans adj. déterminatif ni compl. prép.] Degré d'indépendance que l'on juge normal et légitime pour le citoyen, le peuple, la nation et que l'on érige en valeur suprême, en idéal. La liberté, c'est le bonheur, c'est la raison, c'est l'égalité, c'est la justice, c'est la déclaration des droits, c'est votre sublime constitution! (DESMOULINS ds Vx Cord., 1793-94, p. 115). Je déclare que je ne parle ici que de la liberté qui naît de l'ordre et enfante des lois, et non de cette liberté fille de la licence et mère de l'esclavage (CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 276). Nous n'hésiterons pas à défendre la liberté par la force contre ses ennemis éternels. Nous comprenons maintenant le sens de la devise révolutionnaire (...) : Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort (MAURIAC, Cah. noir, 1944, p. 376). La liberté absolue raille la justice. La justice absolue nie la liberté. Pour être fécondes, les deux notions doivent trouver, l'une dans l'autre, leur limite (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 359) :• 6. Et par le pouvoir d'un motJe recommence ma vieJe suis né pour te connaîtrePour te nommerLiberté.ÉLUARD, Poésie et Vérité, Paris, Gallimard, 1968 [1942], p. 1107.• 7. La France et le monde luttent et souffrent pour la liberté, la justice, le droit des gens à disposer d'eux-mêmes. Il faut que le droit des gens à disposer d'eux-mêmes, la justice et la liberté gagnent cette guerre, en fait comme en droit, au profit de chaque homme, comme au profit de chaque État.DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p. 680.SYNT. Combattre (lutter) pour, être dévoué à, préparer le règne de, faire triompher la liberté; ennemi, force(s), martyr, soldat(s) de la liberté; drapeau, hymne de la liberté; pays, terre de (la) liberté; crime contre la liberté.— [P. personnification de cet idéal] Protège-moi, toujours, ô liberté chérie, Ô mère des vertus, mère de la patrie! (CHÉNIER, Bucoliques, 1794, p. 187). La France saigne, mais la liberté sourit; et devant le sourire de la liberté, la France oublie sa plaie (HUGO, Misér., t. 2, 1862, p. 358) :• 8. Liberté! Sur la terre ouvre ton aile immense.Avec les fruits vivants, les fruits délicieuxDe ton règne attendu dont l'éclat recommence,Liberté, ne va plus t'en retourner aux cieux!DESB-VALM., Mél., 1859, p. 224.♦ Arbre de la liberté.♦ Déesse, génie de la liberté; temple de la (déesse) Liberté (à l'époque romaine). En face du palais construit par Tibère on voit les débris du temple de la liberté, bâti par le père des Gracques (STAËL, Corinne, t. 1, 1807, p. 199). Le feu d'artifice de la déesse liberté (BAUDEL., Poèm. prose, 1867, p. 107). Statue de la liberté. Bonaparte fut présenté au Directoire, le 10 décembre 1795, dans la cour du palais du Luxembourg. Au milieu de cette cour s'élevait un autel de la patrie, surmonté des statues de la liberté, de l'égalité et de la paix (CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 335). La liberté éclairant le monde. Statue de Bartholdi, érigée à l'entrée du port de New York. Cette dame enceinte, dans sa robe de chambre à plis de bronze, un bougeoir à la main, c'est la liberté éclairant le monde, de Bartholdi (MORAND, New-York, 1930, p. 33).B. — [Correspond à libre B et C] État d'une personne ou d'une chose dont l'action ou la manifestation ne rencontre pas d'obstacle.1. [À propos d'une pers.]a) [Sans compl.]) Possibilité d'agir, de penser par soi-même; refus de toute sujétion aux choses, de toute pression d'autrui. Aimer, profiter de, avoir sa liberté; respecter la liberté des autres; des habitudes de liberté. J'étais ivre de ma liberté, de n'appartenir enfin qu'à moi-même (GUÉHENNO, Journal homme 40 ans, 1934, p. 107). Une trop grande liberté, un fais ce que tu veux commode, met la jeunesse dans l'impossibilité de désobéir alors que rien d'audacieux n'existe sans la désobéissance à des règles (COCTEAU, Poés. crit. II, 1960, p. 206) :• 9. Pour n'avoir pas à choisir quelque chose, j'ai préféré me sevrer du désir. Par irrésolution et par goût pour la liberté, je n'ai pris aucun parti, ni scientifique, ni religieux, ni politique, ni personnel, et je me suis maintenu à égale distance de tous les possibles, rêvant, contemplant, méditant, comme un ermite retiré du monde.AMIEL, Journal, 1866, p. 464.) Situation d'une personne qui n'est pas (ou n'est plus) engagée moralement, juridiquement ou religieusement. Garder, tenir à, sacrifier sa liberté; rendre sa liberté à qqn. Si Solange n'avait aucun tort envers lui (...), et si elle se refusait au divorce, comment reprendre sa liberté? (MONTHERL., Pitié femmes, 1936, p. 1131).) État d'une personne qui est disponible. Un jour, un soir de liberté; bricoler à ses heures de liberté. Messieurs, dit Fabien après le dîner, la vicomtesse me donne ma liberté ce soir (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 4, 1859, p. 430). J'étais bien heureuse de pouvoir profiter sans partage des rares instants de liberté qui restaient à Robert (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 203).b) [Avec compl. prép. de] Avoir (demander, laisser à qqn) la liberté de + subst. ou inf. Avoir (demander,...) la possibilité, la permission, le droit de. Je trouverais dans la chaumière de mon oncle la liberté de remuer, et par conséquent, disais-je, je serais parfaitement heureuse (STENDHAL, Lamiel, 1842, p. 130). Je demanderai si les pères ont liberté de vie et de mort sur le corps et l'âme de leurs fils (VALLÈS, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 388). Prendre la liberté de + inf. [À la 1re pers., surtout dans la conversation et dans la correspondance : formule de politesse, souvent en manière d'excuses] Ma chère confrère, je prends la liberté de vous envoyer par le même courrier une pièce de vers que je trouve très remarquable et pouvant orner votre revue (FLAUB., Corresp., 1879, p. 324). Avoir (laisser, donner à qqn) une entière, une pleine, toute liberté de/pour + subst. ou inf. Avoir (laisser...) l'autorisation pleine et entière de; avoir toute facilité, toute latitude de/pour. Avoir une totale liberté d'action, de choix, de manœuvre. Toute liberté nous était donnée de pénétrer en territoire belge (JOFFRE, Mém., t. 1, 1931, p. 241). En province, les candidats ont toute liberté pour le choix de l'établissement (Encyclop. éduc., 1960, p. 145). [Sans compl. prép. de] Puisque vous êtes un homme averti, vous comprendrez aisément que vous devez laisser entière liberté à l'imagination, à la patience, aux inspirations parfois paresseuses de ce maître d'œuvre [le metteur en scène] (VILAR, Tradition théâtr., 1963, p. 123).2. [À propos du comportement, des actes, des facultés intellectuelles, de la condition physique]a) Absence de gêne dans le comportement, dans l'expression. Liberté sexuelle. Toute la famille protégeait la liberté de nos amours (ABOUT, Grèce, 1854, p. 199). Subitement, avec une adorable liberté enfantine, Anna passa son bras sous celui d'Henri (REIDER, Mlle Vallantin, 1862, p. 162) :• 10. Ceux qui ne les connaissaient pas particulièrement appelaient leur liberté d'allure du cynisme. Ce n'était pourtant que de la franchise. Esprits rétifs à toute chose imposée, ils avaient tous le faux en haine et le commun en mépris.MURGER, Scènes vie boh., 1851, p. 173.— Loc. adv. En toute liberté. Sans être contraint ou forcé. Conclure, se décider en toute liberté; plaisanter en toute liberté. Oui, monsieur, ce dîner d'où nous avons exclu les maris, afin de pouvoir, en toute liberté, parler de nos costumes (MEILHAC-HALÉVY, Froufrou, 1869, II, 4, p. 56). Ils déchantèrent un peu quand Henri leur déclara qu'il entendait rédiger lui-même, en toute liberté, les articles sur les camps (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 377). En liberté (vieilli). Il était hors d'état de parler, il s'enferma dans sa chambre. Là, il put s'exagérer en liberté toute l'atrocité de son sort (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 348). Lui, qui avait eu la campagne vaste pour se rouler, en liberté, étouffait dans l'espace étroit où il devait se tenir sage (ZOLA, Œuvre, 1886, p. 228). (Qqc. ou qqn) en liberté. [Pour désigner celui dont la vie (ou ce qui) se déroule sans contrainte] Vacances en liberté. La joie tumultueuse d'une petite fille en liberté (BALZAC, Lys, 1836, p. 203).— En partic., domaine de l'expression littér. et artistique. Hardiesse de conception; aisance dans l'exécution, dans le style. L'intérieur de l'église de San Antonio de la Florida (...) est peint à fresque par Goya avec cette liberté, cette audace et cet effet qui le caractérisent (GAUTIER, Tra los montes, 1843, p. 116). Cette composition, comme tout ce qui sort de Carle Vernet et de l'école, manque de liberté (BAUDEL., Curios. esthét., 1857, p. 184). Vite revenu à sa liberté de thèmes et d'allure, il [Corneille] va désormais tout le reste de sa vie ruser avec les règles pour leur faire porter tout le poids qu'elles pourront de romanesque (BRASILLACH, Corneille, 1938, p. 160) :• 11. Piero della Francesca, le Greco, Latour, Vermeer, que notre siècle a mis ou remis au premier rang, tirent leur génie de leur présence dans la toile; mais il ne s'agit plus de l'éclatante liberté du pinceau qui faisait dire que Hals peignait largement.MALRAUX, Voix sil., 1951, p. 575.— Souvent péj. Absence de souci des convenances. Liberté de mœurs, de paroles. Madeleine lui reprochait de tolérer l'incroyable liberté de langage de Geneviève, et celle-ci l'accusait de se damner volontairement en vivant avec le péché (ZOLA, M. Férat, 1868, p. 233). On sait la licence des mœurs au siècle de la cathédrale, (...) la liberté des fabliaux et des mystères (FAURE, Espr. formes, 1927, p. 255). V. commettre ex.3.— P. méton., cour., le plus souvent au plur. Actes, paroles, écrits, œuvres libres ou trop libres. Libertés d'opinion, de langage; libertés de composition, de main. Le désir de former les enfants au beau style et aux tours du monde induisait les traducteurs à d'étranges libertés (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 460). Il était à quatre-vingts ans jeune, avec des libertés, des gaillardises de méridional (BARRÈS, Cahiers, t. 10, 1913, p. 236). En ne me scandalisant pas tout à l'heure, je crains de vous avoir scandalisé. Il est certaines libertés de pensée dont les hommes voudraient garder le monopole (GIDE, Faux-monn., 1925, p. 1187). V. évanouissement A 3 ex. de MARTIN DU G., Notes A. Gide, 1951, p. 1420.♦ Loc. Avoir, se permettre, prendre des libertés (avec qqn). En prendre à son aise; être familier avec quelqu'un. Je m'efforçai de paraître extrêmement gai, et je me permis même quelques petites libertés, bien innocentes, qui ne furent pas repoussées (KRÜDENER, Valérie, 1803, p. 150). Je m'encanaillais, je prenais des libertés. Je passais des vacances au bordel mais je n'oubliais pas que ma vérité était restée au temple (SARTRE, Mots, 1964, p. 60). Prendre des libertés avec/envers une femme. Se montrer d'une familiarité offensante. Il était trop honnête homme, (...) et gardait trop de discrétion pour avoir jamais pris aucune liberté avec la jeune portière de la bibliothèque (FRANCE, Mannequin, 1897, p. 335). Prendre des libertés avec qqc. Ne pas respecter quelque chose, ne pas s'y conformer; l'altérer. Prendre des libertés avec une doctrine, avec la vérité. J'ai pris quelques petites libertés avec le texte, qui peut les supporter (CLAUDEL, Corresp. [avec Gide], 1925, p. 129). Tels, qui croient prendre des libertés avec le temps parce qu'ils s'arrangent inconsciemment pour être toujours en retard (...) (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 595).b) Absence d'entraves, de préjugés dans la démarche intellectuelle. L'esprit particulier aux artistes (...) qui s'élève au-dessus des idées bourgeoises par la liberté des jugements et par l'étendue des aperçus (BALZAC, Illus. perdues, 1843, p. 41) :• 12. ... après cette complète liberté de discussion, que rien n'a arrêtée, qui n'a reculé devant rien, il est des choses dont l'authenticité n'a jamais été mise en doute par le plus hardi de ces docteurs : deux des Évangiles, saint Paul et les Actes des Apôtres.AMPÈRE, Corresp., 1827, p. 430.♦ Liberté d'esprit ou de l'esprit. Indépendance de l'esprit à l'égard de la tradition, de l'autorité, des croyances établies, des préjugés ou disposition de l'esprit qui est délivré de toute préoccupation, de tout embarras. Vous avez parlé de Napoléon avec une liberté d'esprit qui est bien rare dans les conversations que j'entends (FRANCE, Lys rouge, 1894, p. 56). Il sentait bien que ce souci lui prenait une part de sa liberté d'esprit, de ses possibilités d'action (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 480). V. doute ex. 2 :• 13. La première condition que doit remplir un savant qui se livre à l'investigation dans les phénomènes naturels, c'est de conserver une entière liberté d'esprit assise sur le doute philosophique.C. BERNARD, Introd. ét. méd. exp., 1865, p. 58.♦ Liberté d'examen. V. libre examen.c) Absence d'entrave dans les mouvements du corps, dans les fonctions; absence de gêne relativement à la condition physique. Je respirais avec plus de liberté; l'air est si pur dans ces montagnes! (KRÜDENER, Valérie, 1803, p. 209). Ayant retrouvé la liberté de ses mouvements, Rochard ne paraissait pas disposé à en profiter et collait sagement à Léopold (AYMÉ, Uranus, 1948, p. 57). V. acrobate ex. 7.♦ Vieilli. Liberté du ventre (v. libre I C 1 b). On aura soin d'entretenir toujours la liberté du ventre, en donnant tous les jours un lavement légèrement purgatif (GEOFFROY, Méd. prat., 1800, p. 107).3. [A propos d'une chose, d'un processus] État de ce qui n'est pas attaché, lié, de ce qui évolue ou s'effectue sans contrainte. Liberté de fonctionnement. Leurs cheveux qui, tantôt serrés en natte, tantôt flottant en liberté, couvraient les épaules et descendaient jusqu'au milieu des reins (THIERRY, Récits mérov., t. 2, 1840, p. 82). Ce n'est que lorsqu'on réussit à tourner les pointes en dehors et à faire le plié qui sert de tremplin au saut (...) que les bras reprirent leur liberté (SAZONOVA, Vie danse, 1937, p. 96).— BIOL., CHIM. Mise en liberté d'un corps. Rupture de sa relation à un autre corps au cours d'une réaction. L'oxygène, mis en liberté dans ces deux réductions, oxyde le silicium et le phosphore (Ch. DURAND, Industr. minér. Lorr., 1893, p. 56).— PHYS. Degré de liberté. Grandeur (mathématique, mécanique, physique) qui, dans un système donné, peut varier sans contrainte. On parle, en mécanique, des « degrés de liberté ». Un mécanisme à liaisons définies n'a qu'un nombre restreint de degrés de liberté (RUYER, Esq. philos. struct., 1930, p. 74).II. — PHILOS., PSYCHOL. [Spécifiquement à propos de l'homme considéré comme être doué de volonté] État de celui qui n'est pas soumis à des forces intérieures d'ordre irrationnel.A. — [P. oppos. à déterminisme] État de celui qui peut choisir souverainement entre deux possibilités contraires, sans avoir de motif relatif au contenu de l'acte à accomplir. Synon. libre-arbitre. J'ai prouvé que le sentiment du moi n'était autre que le sentiment de la liberté ou du pouvoir d'agir, d'exercer une action indépendante de toute cause autre que la volonté (MAINE DE BIRAN, Journal, 1816, p. 125). Créé libre, l'homme a péché par le pouvoir qu'il avait de pécher, mais ce pouvoir ne faisait pas partie de sa liberté véritable, qui était celle de ne pas pécher (GILSON, Espr. philos. médiév., 1932, p. 113) :• 14. J'ai fait effort pour m'attacher à telle représentation de conduite et à ses motifs. Ce qui suppose que je m'en suis d'abord détaché. Ce consentement implique donc de ma part un acte réflexif : il est le je prenant pour objet un désir du moi, puis y adhérant, et du même coup transformant le désir en volonté. C'est à ce moment précis qu'a lieu le sentiment vif interne d'un pouvoir des contraires : je sens que je peux poser mon regard mental sur tel des objets qui m'attirent, ou bien le porter sur un autre. À cela se résume toute ma conscience de la liberté.J. LAPORTE, La Conscience de la liberté, Paris, Flammarion, 1947, p. 285.♦ Liberté d'indifférence.B. — [Compatible avec déterminisme; corrélatif de moralité, responsabilité] État de celui qui se détermine après réflexion, en connaissance de cause, d'après des motifs qu'il accepte; état de celui qui contrôle ses passions et qui réalise dans ses actes, le bien, la raison, la vérité considérés comme l'expression de sa nature profonde. Anton. inconscience, passion. Il [le stoïcisme] fait à l'homme, au sage, qui seul est digne du nom d'homme, un devoir de conformer son intention et sa vie à cet ordre des choses, la raison même, et de se tendre d'un ferme effort pour s'élever à la liberté en s'identifiant avec la loi souveraine (RENOUVIER, Essais crit. gén., 3e essai, 1864, p. 170). En posant le déterminisme, on en tire la liberté. En voulant la liberté, on exige le devoir. En concevant la loi morale, c'est une nécessité de la produire dans l'action pour la connaître et la déterminer en la pratiquant (BLONDEL, Action, 1893, p. 143). Ma liberté, le pouvoir fondamental que j'ai d'être le sujet de toutes mes expériences, n'est pas distincte de mon insertion dans le monde (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 413) :• 15. ... je n'ai rien à faire avec le problème de la liberté métaphysique. Savoir si l'homme est libre ne m'intéresse pas. Je ne puis éprouver que ma propre liberté. Sur elle, je ne puis avoir de notions générales, mais quelques aperçus clairs. Le problème de la « liberté en soi » n'a pas de sens.CAMUS, Sisyphe, 1942, p. 79.— P. méton. L'être humain en tant qu'être libre. Nous sommes une liberté qui choisit mais nous ne choisissons pas d'être libres (SARTRE, Être et Néant, 1943, p. 565).Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Début XIIIe s. philos. liureteit « pouvoir qu'a la volonté de se déterminer sans subir aucune contrainte » (Sapientia ds Dialogue Grégoire, éd. W. Foerster, p. 289, 18); 2. 1266 libertés « immunités, franchises » (Charte de franch. octr. à la ville d'Orgelet, Tuetey, Ét. sur le dr. munic. en Fr.-Comté, p. 189 ds GDF. Compl.); 3. ca 1355 liberté « degré le plus élevé d'indépendance reconnu à un groupe social » (BERSUIRE ms. B.N. n° 20312 ter, f. 27 verso ds LITTRÉ); 1765 liberté naturelle (Encyclop. t. 9); 4. 1324 « condition de l'homme qui ne dépend pas d'un maître » (Lett. de Ch. le Bel, A.N. JJ 62, f° 178 r° ds GDF. Compl., s.v. franchise); 5. 1365 liberteit « état de quelqu'un qui n'est pas prisonnier » (Psautier Lorrain, éd. Fr. Apfelstedt, XVII, 19); ca 1393 liberté « état de quelqu'un qui n'a pas d'engagement » (Ménagier, éd. Sté Bibliophiles fr., t. 1, p. 100); 6. id. liberté de + inf. « possibilité pour quelqu'un d'agir sans contrainte » (op. cit., t. 1, p. 101); 1538 « absence de toute contrainte sociale ou morale; hardiesses en paroles » (EST.); 1680 prendre des libertés (avec une femme) (RICH. qui cite MAUCROIX, Schisme, 1. I, dont le privilège est de 1675); 7. 1538 liberté « jouissance de droits politiques accordés à tout homme reconnu comme citoyen » (EST.); 1694 liberté publique (Ac.); 1748 liberté politique (MONTESQUIEU, Esprit des Loix, livre XI, chap. VI); 1753 liberté de la presse (ARGENSON, Journ., VIII, p. 43 ds BRUNOT t. 6, p. 129, note 4); 1763 liberté de penser (VOLTAIRE, Traité sur la tolérance ds Mélanges, éd. J. van den Heuvel, p. 585); 1787 liberté individuelle (DE LOLME, Constitution d'Angleterre, t. 1, p. 33 ds BRUNOT t. 6, p. 128, note 6). Empr. au lat. libertas, -atis « état de celui qui n'est pas esclave » « état de celui qui jouit de ses droits de citoyen » « état d'un peuple qui n'est pas soumis à une autorité arbitraire (ou extérieure) » « pouvoir de se déterminer soi-même » et « indépendance de quelqu'un dans son comportement et ses paroles » d'où « hardiesse, franc parler », également attesté en lat. médiév. au sens de « privilège, charte conférant un statut privilégié » (1002 ds NIERM.). Fréq. abs. littér. : 14 849. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 30 941, b) 16 313; XXe s. : a) 12 701, b) 20 369. Bbg. ANTOINE (G.). Liberté, égalité, fraternité. Paris, 1981, pp. 21-35, 51. - DUB. Pol. 1962, pp. 333-334. - MAULNIER (Th.). Le Sens des mots. Paris, 1976, pp. 141-144. - QUEM. DDL t. 11. - RITTER (E.). Les Quatre dict. fr. B. Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 450. - VARDAR (B.). Ét. lexicol. d'un champ not. Istanbul, 1969, 190 p.; Soc. pol. 1973 [1970], pp. 259-262.liberté [libɛʀte] n. f.ÉTYM. V. 1190, liureteit « libre arbitre »; libertés « franchises accordées à une ville », 1266; le sens I n'est attesté qu'en 1324; du lat. libertas.❖♦ État d'indépendance, d'autonomie par rapport aux causes extérieures; absence, suppression ou affaiblissement d'une contrainte.1 liberté : c'est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens; qui chantent plus qu'ils ne parlent; qui demandent plus qu'ils ne répondent; de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée de théologie, de Métaphysique, de Morale et de Politique; mots très bons pour la controverse, la dialectique, l'éloquence; aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités infinies qu'aux fins de phrases qui déchaînent le tonnerre.Valéry, Regards sur le monde actuel, Fluctuations sur la liberté, p. 49.———I (1324; au sens étroit).1 État, situation de la personne qui n'est pas sous la dépendance absolue de (quelqu'un par oppos. à esclavage, servilité, servitude). ⇒ Franchise, I., 1., vx. || Donner la liberté à un esclave, à un serf. ⇒ Affranchir, briser (les liens, les chaînes). || Priver de liberté. ⇒ Asservir.2 (…) je ne vous demande que la liberté d'une jeune esclave de Babylone (…) et je consens de rester en esclavage à sa place, si je n'ai point le bonheur de guérir le magnifique seigneur Ogul.Voltaire, Zadig, XVIII.2 Situation de qui n'est pas retenu captif (par oppos. à captivité, emprisonnement). || Rendre la liberté à un prisonnier, à un captif. ⇒ Délivrer, cit. 3. → Arrestation, cit. 1. — (En liberté). || Être en liberté. || Laisser qqn en liberté. || Mettre en liberté, mise en liberté. ⇒ Élargir; élargissement, relaxation. — Recouvrer la liberté en s'évadant (→ Prendre la clé des champs; et aussi évasion, cit. 1). || Racheter sa liberté moyennant une forte rançon. — Spécialt (dr. pén.). || Liberté provisoire, accordée à un individu en état de détention préventive. || Laisser un inculpé (cit. 2) en liberté. || Liberté sous caution (→ Habeas corpus, cit. 2). || Liberté surveillée (loi du 22 juillet 1912 sur l'enfance délinquante). Dr. internat. || Liberté sur parole, accordée à un prisonnier sous certaines conditions qu'il s'engage sur l'honneur à respecter.3 Contraint de racheter sa liberté après une longue prison durant les guerres d'Allemagne (…)Fléchier, Oraison funèbre du duc de Montausier.4 La mise en liberté provisoire est de droit lorsque se trouvent réunies, en faveur de l'inculpé, des conditions particulièrement favorables (…)H. Donnedieu de Vabres, Précis de droit criminel, §1029.♦ Par anal. || Donner la liberté à un oiseau en ouvrant sa cage. || Élever des animaux en liberté (→ Basse-cour, cit. 1). || État de liberté ou de domesticité (→ Guanaco, cit.).———1 Rare (choses). || Corps qui tombe en liberté, librement (→ Chute libre).5 Quand un corps tombe, sa liberté se manifeste en cheminant selon sa nature vers le centre de la Terre (…)A. Comte, Catéchisme positiviste, 4e entretien.♦ Sc. || Degré de liberté : nombre d'axes autour desquels un système est mobile.♦ Réaction chimique qui met un corps en liberté. ⇒ Dégager, libérer.2 (1530). Personnes. Possibilité, pouvoir d'agir sans contrainte. ⇒ Licence (vieilli). || L'argent (cit. 44), source de liberté. || Avoir des habitudes de liberté. || Goût pour la liberté et la vie errante (→ Horde, cit. 1). || Il vit avec ses parents et a très peu de liberté. || On lui laisse peu de liberté (→ Tenir de court), trop de liberté. ⇒ Émanciper; → Lâcher, laisser la bride sur le cou. || Heures (cit. 10) de liberté. ⇒ Loisirs. || Exercer un droit avec une liberté entière, pleine, totale. — La liberté de qqn, sa liberté. || Avoir sa liberté (→ Fils, cit. 6). || Contraindre sa propre liberté (→ Grille, cit. 2). — (En liberté). || Agir en toute liberté, en pleine liberté. ⇒ Librement (→ Influencer, cit. 2). || Faire qqch. en liberté (vx). → Épancher, cit. 19, Racine. — Avoir toute liberté pour faire qqch. ⇒ Crédit (I., 1.), facilité, faculté, latitude. → Avoir un blanc-seing, avoir carte blanche, avoir le champ libre, les coudées franches. — Liberté de… (et subst.). || Liberté de choix (cit. 10). || Liberté d'action (→ 1. Arbitre, cit. 8), de manœuvre (→ Envergure, cit. 6), de mouvement (→ Euthanasie, cit. 1). — Spécialt. État d'une personne qui n'est pas liée par un engagement (cit. 8). || Garder sa liberté. || Aliéner, sacrifier sa liberté. ☑ Reprendre sa liberté : se dégager d'un engagement envers qqn. || Reprendre sa liberté après une liaison (→ Excéder, cit. 18). Spécialt. Quitter son conjoint.6 Pour être en pleine liberté, j'ai fait en sorte que ma femme ira dîner chez ma sœur (…)Molière, le Bourgeois gentilhomme, III, 6.7 La liberté n'est pas oisiveté; c'est un usage libre du temps, c'est le choix du travail et de l'exercice.La Bruyère, les Caractères, XII, 104 (→ aussi Bien, cit. 25).8 J'écrivais ce livre au moment où, par le mariage, je venais de fixer ma vie; où j'aliénais volontairement une liberté que mon livre, œuvre d'art, revendiquait aussitôt d'autant plus.Gide, les Nourritures terrestres, Préface.♦ Liberté de (suivi d'un inf.) : droit (au sens large), permission de faire qqch. || La liberté de blâmer (cit. 7), de critiquer (→ Attaquer, cit. 27). || Avoir, se donner, prendre, obtenir la liberté de faire qqch. (→ Férocité, cit. 2; grâce, cit. 74; hôtel, cit. 14; justifier, cit. 7). || Donner à qqn la liberté de faire (telle ou telle chose). ⇒ Autorisation, permission. → Donner carrière. || Prendre la liberté de faire qqch.9 Il y avait un flatteur qui prit la liberté de lui parler à l'oreille (…)Fénelon, Télémaque, XI.3 ☑ (1680). Au plur. Prendre des libertés : ne pas se gêner, se montrer d'une familiarité inconvenante. ⇒ Licence (→ Boire, cit. 2; irrévérence, cit. 2). || Prendre des libertés insolentes, offensantes. → En prendre à son aise. Spécialt. || Prendre des libertés avec une femme. ⇒ Familiarité, privauté (→ Frôlement, cit. 1).10 (…) parler sans cesse à un grand que l'on sert (…) faire le familier, prendre des libertés, marquent mieux un fat qu'un favori.La Bruyère, les Caractères, IV, 71.4 (Dans quelques expressions). Absence de contrainte dans la pensée, l'expression, l'allure, le comportement, etc. — Liberté d'esprit (cit. 48) : indépendance d'un esprit qui n'est pas dominé par la crainte, par des préoccupations obsédantes ou encore par des préjugés, des préventions. ⇒ Disponibilité (cit. 2), indépendance (→ Effraction, cit. 4; éparpiller, cit. 23; essor, cit. 6; grégaire, cit. 1; jugement, cit. 16). || Garder sa liberté de jugement, le droit, la faculté de juger, de décider par soi-même. ⇒ Libre (libre examen). || Liberté de la pensée. || Avoir une grande liberté de pensée.11 La liberté, où tant d'étourdis se trouvent portés du premier bond, fut pour moi une acquisition lente. Je n'arrivai au point d'émancipation que tant de gens atteignent sans aucun effort de réflexion qu'après avoir traversé toute l'exégèse allemande.Renan, Souvenirs d'enfance…, I, I.12 (…) une certaine liberté professionnelle (…) J'entends : liberté de pensée, et liberté de travail (…) — avec tous les risques, bien entendu, et toutes les responsabilités que ça comporte.Martin du Gard, les Thibault, t. V, p. 231.♦ (1835). || Liberté de langage. ⇒ Franchise, hardiesse. || « Il a toute la liberté de langage d'un homme qui ne dépend de personne » (Académie). ⇒ Franc-parler. — S'exprimer, parler avec une totale liberté. || Répondre avec (cit. 80) la liberté d'un soldat. || Il a parlé de l'Empereur avec une liberté inouïe (→ Hésiter, cit. 19). ⇒ Audace. || Une liberté qui frise l'impertinence.13 (…) Tertullien a bien osé dire (…) vous allez être étonnés de la liberté de cette parole (…)Bossuet, Panégyrique de saint Thomas de Cantorbéry.14 Vous direz peut-être que vous en avez retranché (des comédies de Térence) quelques libertés (…)Racine, Œuvres diverses en prose, Lettres à l'auteur des Hérésies imaginaires.♦ Aisance, élégance dans l'allure, dans les mouvements. ⇒ Aisance.15 (…) combien de temps, de règles, d'attention et de travail pour danser avec la même liberté et la même grâce que l'on sait marcher (…)La Bruyère, les Caractères, XII, 34.16 Cette habitude de marcher seules leur donne une franchise, une élégance et une liberté d'allures que n'ont pas nos femmes, toujours suspendues à quelque bras.Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 157.♦ Par ext. (Choses). || Ce ressort n'a pas assez de liberté (Littré). ⇒ Jeu. || Souplesse et liberté des lignes d'un dessin. → Irréel, cit. 3.♦ (Personnes). || Liberté de façons (cit. 43), liberté d'allures (→ Bride, cit. 5). ⇒ Désinvolture, familiarité. || Liberté excessive des mœurs, des manières, de la tenue. ⇒ Débraillé, émancipation, laisser-aller, licence, sans-gêne. || Liberté sexuelle.———III (Dans le domaine politique, social).1 Pouvoir d'agir, au sein d'une société organisée, selon sa propre détermination, dans la limite de règles définies. || Liberté civile : état de l'individu qui jouit de ses droits civils. || Les théoriciens du XVIIIe siècle opposaient la liberté naturelle (dont jouissait l'homme à l'état de nature) à la liberté civile. || Liberté politique : droit pour le peuple, les citoyens de se donner des lois directement ou par le choix de représentants. || L'égalité (cit. 7), garantie de la liberté des faibles. || Asservir (cit. 7) la liberté de l'homme. — Liberté publique (ou politique) et liberté individuelle (→ Corps, cit. 44; garantie, cit. 8). — REM. La liberté individuelle est ici prise dans son sens le plus général de « liberté de l'homme, de l'individu »; → ci-dessous, III., 3., la liberté individuelle (au sens étroit).17 La liberté est la propriété de soi; on distingue trois sortes de libertés : la liberté naturelle, la liberté civile, la liberté politique; c'est-à-dire la liberté de l'homme, celle du citoyen et celle d'un peuple.G.-T. Raynal, Hist. philosophique, XI, XXIV.2 (1538). Absolt. || La liberté : « absence ou suppression de toute contrainte considérée comme anormale, illégitime, immorale » (Lalande). || Conceptions de la liberté (→ Abstention, cit. 2, Renan; exécuteur, cit. 2, Montesquieu; garantie, cit. 7, Lamennais; impérissable, cit. 4, Camus). || « La liberté bannira les oppressions » (→ Fraternité, cit. 4, Mirabeau). || L'éclosion de la liberté (→ Genre, cit. 4, Hugo). || La liberté n'est pas l'anarchie (cit. 5). || L'État (cit. 113 et 115) et la liberté. || « Liberté, Égalité, Fraternité », devise de la République française. || Liberté et égalité (cit. 9). || Liberté et justice. || Démocratie et liberté (vx). — Champion (cit. 5), défenseur, martyr de la liberté. || Bastion, boulevard (vx), rempart de la liberté… || Avoir la passion de la liberté (→ Furie, cit. 4). || Amour de la liberté (→ 1. Franc, cit. 1). || Appels (cit. 9) à la liberté. || Vive la liberté ! || La liberté ou la mort ! || « Liberté, liberté chérie… » (→ Défenseur, cit. 2, Rouget de Lisle). || « La liberté guide nos pas… », chant du Départ. — || « Ô Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! », dernières paroles attribuées à Mme Roland. || Le bonnet phrygien (cit.), emblème de la liberté.18 Sous ce nom de liberté, les Romains se figuraient avec les Grecs un État où personne ne fût sujet que de la loi, et où la loi fût plus puissante que les hommes.Bossuet, Discours sur l'histoire universelle, III, VI.19 Il n'y a point de mot qui ait reçu plus de différentes significations (…) que celui de liberté. Les uns l'ont pris pour la facilité de déposer celui à qui ils avaient donné un pouvoir tyrannique; les autres, pour la faculté d'élire celui à qui ils devaient obéir; d'autres, pour le droit d'être armés et de pouvoir exercer la violence; ceux-ci, pour le privilège de n'être gouvernés que par un homme de leur nation, ou par leurs propres lois (…) Ceux qui avaient goûté du gouvernement républicain l'ont mise dans ce gouvernement; ceux qui avaient joui du gouvernement monarchique l'ont placée dans la monarchie.Montesquieu, l'Esprit des lois, XI, II.20 La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent (…)Montesquieu, l'Esprit des lois, XI, III.21 La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens.Montesquieu, Cahiers, p. 117.22 Les peuples, une fois accoutumés à des maîtres, ne sont plus en état de s'en passer. S'ils tentent de secouer le joug, ils s'éloignent d'autant plus de la liberté, que, prenant pour elle une licence effrénée qui lui est opposée, leurs révolutions les livrent presque toujours à des séducteurs qui ne font qu'aggraver leurs chaînes.Rousseau, De l'inégalité parmi les hommes, À la République de Genève.23 La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.Déclaration des droits de l'homme, Constitution du 3 sept. 1791, art. 4.24 Liberté ! Liberté ! En toutes choses justice, et ce sera assez de liberté.Joseph Joubert, Pensées, XV, XV (→ aussi Justice, cit. 12).25 La Politique nous parle aussi de liberté. Elle parut d'abord n'attacher à ce terme qu'une signification juridique. Pendant des siècles, presque toute société organisée comprenait deux catégories d'individus (…) les uns étaient des esclaves; les autres étaient dits « libres » (…)Plus tard (…) la liberté devint un idéal, un mythe, un ferment, un mot plein de promesses, gros de menaces (…) Cette liberté politique paraît difficilement séparable des notions d'égalité et de « souveraineté » (…)Je me trouve bien en peine de me rendre nette et précise l'idée de liberté politique. Je suppose qu'elle signifie que je ne dois obéissance qu'à la loi, cette loi étant censée émaner de tous et faite dans l'intérêt de tous.Valéry, Regards sur le monde actuel, p. 63-64-65.26 Et par le pouvoir d'un motJe recommence ma vieJe suis né pour te connaîtrePour te nommerLibertéÉluard, Poésie et Vérité (1942), « Liberté ».27 La liberté, « ce nom terrible écrit sur le char des orages » (Philotée O'Neddy), est au principe de toutes les révolutions. Sans elle, la justice paraît aux rebelles inimaginable. Un temps vient, pourtant, où la justice exige la suspension de la liberté. La terreur (…) vient alors couronner la révolution.Camus, l'Homme révolté, p. 135.♦ Arbre de la liberté. — Personnification de la liberté. || La déesse Liberté. || Statues de la liberté. Spécialt. || La Liberté éclairant le monde, statue de Bartholdi, érigée à l'entrée du port de New York.3 (1694). Pouvoir que la loi reconnaît aux individus (dans un domaine précis). ⇒ 3. Droit. || Les droits (cit. 8) et les libertés de l'homme et du citoyen. || Lois qui suppriment les libertés (→ Intimidation, cit. 1). || Attenter (cit. 7), porter atteinte aux libertés (→ Censure, cit. 3). || Entraves aux libertés.♦ Spécialt (dr. publ.). ⇒ 3. Droit (supra cit. 66). || Libertés publiques : l'ensemble des libertés reconnues à l'individu (libertés individuelles) et aux groupes sociaux, et, spécialt (Capitant), celles qui permettent au citoyen d'exercer une action dans la société (liberté d'opinion, de presse, de réunion, d'association). — REM. Liberté individuelle se dit aussi, stricto sensu, de la liberté physique, et, notamment, de l'ensemble des garanties contre les arrestations, les détentions et pénalités arbitraires (→ Habeas corpus; sûreté). — Liberté du domicile : droit pour l'individu d'interdire l'accès de son domicile, hors les cas prévus par la loi. — Liberté d'association (loi du 1er juillet 1901), de réunion (lois du 30 juin 1881, du 28 mars 1907), d'opinion (→ Abus, cit. 3; état, cit. 111). || Liberté de la presse (loi du 29 juillet 1881). || Libertés de l'imprimerie, de la librairie, de l'affichage, du colportage. || Liberté religieuse : droit de choisir sa religion ou de n'en point avoir (liberté de conscience), de pratiquer la religion de son choix, d'en célébrer le culte (liberté du culte). || Liberté de l'enseignement. — Libertés dans le domaine économique. || Liberté du travail. || Liberté du commerce et de l'industrie. || Liberté des échanges (cit. 6). ⇒ Libre-échange (→ Barrière, cit. 5). || Doctrines favorables aux libertés. ⇒ Libéral, libéralisme.28 Liberté de conscience et liberté de commerce, monsieur, voilà les deux pivots de l'opulence d'un État petit ou grand.Voltaire, Correspondance, 3664, 16 juil. 1770.29 Frédéric (II de Prusse) introduisit la liberté de penser dans le nord de l'Allemagne : la réformation y avait amené l'examen, mais non pas la tolérance (…) Frédéric mit en honneur la liberté de parler et d'écrire (…)Mme de Staël, De l'Allemagne, I, XVI.30 Le premier des droits de l'homme c'est la liberté individuelle, la liberté de la propriété, la liberté de la pensée, la liberté du travail.Jaurès, Hist. socialiste, t. I, p. 186.30.1 La liberté de conscience, c'est de ne pas payer un curé quand on ne va pas à la messe.J. Renard, Journal, 14 août 1904.4 (1266; en parlant de groupes sociaux). || Liberté politique. ⇒ Autodétermination. — Au plur. || Libertés des communes, des villes; libertés locales. ⇒ Autonomie (cit. 2), franchise (cit. 2 et 3), immunité.♦ Libertés de l'Église gallicane (cit. 1).5 (En parlant d'un État). || Combattre pour la liberté de sa patrie. ⇒ Indépendance, libération.31 (…) et moi, sous mon nom de Léon, sous le simple habit d'un soldat, je défendrai la liberté de notre nouvelle patrie.Beaumarchais, la Mère coupable, IV, 18.———IV Philos. et psychol.1 Caractère indéterminé de la volonté humaine. ⇒ 2. Arbitre (libre arbitre), autonomie (de la volonté), indéterminisme (→ Détermination, cit. 5; devoir, cit. 3; fataliste, cit. 1; fatalité, cit. 4). || Sentiment de liberté, intuition de la liberté. || « La liberté de notre volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons » (Descartes). || La liberté, fondement du devoir, de la responsabilité, de la morale. || Conceptions philosophiques de la liberté. || Liberté d'indifférence (cit. 13, Descartes).32 Puisque vous ne mettez pas la liberté dans l'indifférence précisément, mais dans une puissance réelle et positive de se déterminer, il n'y a de différence entre nos opinions que pour le nom, car j'avoue que cette puissance est en la volonté.Descartes, Lettre au P. Mesland, 2 mai 1644.33 J'appelle liberté le pouvoir de penser à une chose ou de n'y pas penser, de se mouvoir ou de ne se mouvoir pas, conformément au choix de son propre esprit.Voltaire, Correspondance avec le roi de Prusse, 32, oct. 1737.34 Les prophètes n'ont jamais manqué, qui lui ont (au révolutionnaire) annoncé qu'il était libre : et c'était chaque fois pour le duper. La liberté stoïcienne, la liberté chrétienne, la liberté bergsonienne, n'ont fait que consolider ses chaînes en les lui cachant. Elles se réduisaient toutes à une certaine liberté intérieure que l'homme pourrait conserver en n'importe quelle situation. Cette liberté intérieure est une pure mystification idéaliste : on se garde bien de la présenter comme la condition nécessaire de l'acte. En vérité elle est pure jouissance d'elle-même. Si Épictète, dans les chaînes ne se révolte pas, c'est qu'il se sent libre, c'est qu'il jouit de sa liberté. Dès lors, un état en vaut un autre (…) pourquoi vouloir changer ? Dans le fond, cette liberté se réduit à une affirmation plus ou moins claire de l'autonomie de la pensée (…)Sartre, Situations III, p. 196-197.2 Liberté morale : « état de l'être qui agit avec pleine conscience et après réflexion » (Cuvillier), par oppos. à inconscience, impulsion, folie…35 (…) pour agir il faut participer à une puissance infinie; pour avoir conscience d'agir il faut qu'on ait l'idée de cet infini pouvoir. Or c'est dans l'acte raisonnable qu'il y a synthèse de la puissance et de l'idée d'infini : et cette synthèse, c'est ce que l'on nomme la liberté.Maurice Blondel, l'Action, t. II, p. 162.♦ État de celui qui agit conformément à la raison et à la morale, considérées comme caractéristiques de sa nature profonde (par oppos. à passion, instincts, ignorance…). || « Il y a d'autant plus de liberté qu'on agit davantage selon la raison » (Leibniz). || Liberté du sage. || L'habitude (cit. 24) « endort la jeune liberté » (Sully Prudhomme).36 Elle (l'âme) est rendue maîtresse de ses passions et concupiscences, maîtresse (…) de toutes autres injures de fortune (…) c'est ici la vraie et souveraine liberté, qui nous donne de quoi faire la figue à la force et à l'injustice, et nous moquer des prisons et des fers (…)Montaigne, Essais, I, XX.37 Notre meilleure liberté consiste à faire autant que possible prévaloir les bons penchants sur les mauvais.A. Comte, Catéchisme positiviste, 4e entretien.38 Le déterminisme a raison pour tous les êtres vulgaires; la liberté intérieure n'existe que par exception et par le fait d'une victoire sur soi-même. Même celui qui a goûté de la liberté n'est libre que par intervalles et par élans (…) Nous sommes assujettis, mais susceptibles d'affranchissement, nous sommes liés, mais capables de nous délier.H.-F. Amiel, Fragments d'un journal intime, 5 nov. 1879.❖CONTR. (Du sens I) Arrestation, captivité, claustration, dépendance, esclavage, servilité, servitude; prison; collier, joug (fig.). — (Du sens II) Assujettissement, contrainte, défense, entrave, gêne, interdiction, obligation, obstacle. — Confusion, gêne, raideur. — Compression. — (Du sens III) Assujettissement, dépendance, dictature, domination, esclavage (fig.), oppression, servitude (fig.), tyrannie. — Formalité, réglementation… — (Du sens IV) Déterminisme, destin, fatalité. — Passion.DÉR. Libertaire.COMP. Liberticide.
Encyclopédie Universelle. 2012.